Années 80-90 : A l’époque des coladéras et autres bals poussières...

samedi 12 décembre 2020 • 1932 lectures • 2 commentaires

Culture 3 ans Taille

Années 80-90 : A l’époque des coladéras et autres bals poussières...

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L’Obs vous amène au bal. Pas comme cela se fait aujourd’hui dans les night clubs et autres boîtes huppées, mais plutôt dans le tempo du bon vieux temps. A l’époque des coladéras et autres bals poussières. En piste…

Au fur et à mesure que les jours passent, la magie des fêtes de fin d’année s’installe timidement dans les artères sénégalaises. Dans la plupart des quartiers jusque-là plongés dans la routine, le thermomètre semble afficher un climat festif au beau-fixe. Une température qui, tout de même, est en chute libre depuis quelques années et qui a de plus en plus tendance à perdre son effervescence. D’année en année, elle se fond dans le décor des sapins, lampions, flocons et guirlandes de Noël et faiblit dans les réminiscences des épicuriens d’un certain âge. Ceux-là mêmes qui ont vécu de plein fouet, la fièvre des années 1980, 1990, 2000. A l’époque où les bals de quartiers, les fêtes populaires faisaient partie des petits plaisirs classiques et les frivolités de la vie. A minuit, dans les cours des maisons transformées en bastringue, la cloche sonnait la cadence d’une nuit conviviale et inoubliable. Et c’est sur la piste de danse, le plus souvent aménagée sur une bâche à même le sol, que les liens sociaux de toute une communauté étaient cimentés…

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Bande d’amis avec des surnoms racoleurs

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Momo, la quarantaine bien sonnée, fixe inlassablement le sol. Le regard pétillant, il plonge nostalgique dans ses souvenirs… Jeune, à peine sorti de l’adolescence, insouciant, il affectionnait particulièrement ces moments de retrouvailles. A la Sicap où il est né et a grandi, des jeunes de sa génération mettait un point d’honneur à organiser des soirées dansantes qui faisaient vivre les quartiers lors des événements et dates singuliers. Il faut remonter le temps et rembobiner le film de cette période où les réseaux sociaux étaient encore du domaine de l’utopie. A la place des messages sur WhatsApp ou Messenger, les missives écrites à la main étaient à la mode. Les rencontres entre amis se déroulaient sur la place publique du coin, au détour d’une rue et non sur les interfaces des écrans de smartphones ou de laptops. Tout se jouait au cœur ou dans les environs de son fief. Des groupes de garçons ou de filles se formaient suivant les affinités et secteurs, et s’affublaient de surnoms racoleurs ou qui collent à leurs idéologies. Les «Bads Boys», la «Crew», la «Squad» les «Frères de sang», les «Amis du 31», les «Légendes», les «Inséparables»,  les «Sœurs unies», les «Filles branchées», les «Supers nanas», les «Spices Girls», les «Cop’s»…, ils n’étaient jamais en panne d’inspiration pour se dégoter des sobriquets olé-olé. Les fêtes de fin d’année ou les grandes vacances étaient généralement l’occasion pour eux de laisser libre cours à leurs délires. Et cela passait forcément par les bals où l’on pouvait danser à loisir, s’abandonner et se perdre sur la piste. Qu’on soit bon danseur ou qu’on ait deux pieds gauches, peu importe, il faut juste aimer les farandoles ou, à défaut, avoir l’esprit guilleret. Ses soirées étaient habituellement organisées minutieusement, mais dans la plus grande simplicité, par la gent masculine. Une fois que la date était retenue, la prochaine étape était de trouver le lieu des festivités. 


Les cours familiales comme dancing, le «bouche-à-oreille» pour la publicité


A la différence des Nights clubs ou autres salles à l’allure un peu trop formelle ou sélecte, c’est dans une maison du quartier avec une cour vaste, qu’elles se tenaient. Dans ces années- là, Jeannot Diouf, aujourd’hui animateur incontournable de la bande Fm, en était à ses balbutiements dans le milieu. Le Dj se souvient de cette époque où ces soirées immanquables étaient le must de ce qui se faisait dans les Sicap. «Dans chaque quartier, il y avait un animateur qui avait la réputation de faire les belles soirées. On les appelait les ‘’Coladéras’’. C’était vers les années 80. Elles ont vu le jour à travers la Sicap, Baobab, Karack. Initiées par les Sénégalais d’origine cap-verdienne, l’entrée était fixée à 500 FCfa. On s’arrangeait pour emprunter ou louer des maisons avec une grande cour. Il suffisait de l’aménager le jour J, de mettre des chaises tout autour, de créer des espaces pour la piste de danse, la cuisine, le bar, et le tour était joué. Nous n’avions pas besoin de chercher des autorisations comme cela se fait maintenant», rappelle-t-il. Naturellement, il fallait également faire passer la publicité autour de l’événement. Cela se faisait à l’aide d’affiches, des cartes d’invitation confectionnées avec les moyens du bord ou de bouche-à-oreille, histoire de mettre l’eau à la bouche et appâter les fêtards. «En ce temps, il n’y avait pas beaucoup d’imprimeries. Il y avait des cartes prépayées, des sortes de faire-part qu’on utilisait et qui coûtaient 25 FCfa l’unité. Dessus, il y avait des formules consacrées et des pointillés qu’on se contentait de remplir avec les références de notre soirée, comme le lieu, la date, l’heure ou l’entrée. Sinon, il y avait aussi le système des prospectus qu’on fabriquait nous-mêmes et qu’on collait sur les murs», fait savoir Dj Jeannot. 


Pattes d’éléphants, gabardines, tête de nègre, charleston afro, zoulou, défrisées…


Dans la banlieue dakaroise, le principe était quasiment le même qu’à la Sicap. A Rufisque, jadis poumon de ces chaudes nuits d’ambiance, Cissé Brown était parmi les organisateurs de soirée qui avaient la côte, ainsi que René Huchard, Loulou Dacosta et Izangrin Niasse. Pattes d’éléphants, gabardines, tête de nègre, coiffure afro ou zoulou, chemise boutonnée à moitié, Cissé Brown faisait la pluie et le beau temps. Le sexagénaire qui a toujours un pied dans le show-biz, se remémore de ses années lumières. «Cette époque était de loin la meilleure. Il y avait cette proximité entre les personnes. C’étaient des grands moments de rencontre. Les bals se passaient dans les maisons. C’étaient des groupes de quartiers qui l’organisaient avec des entrées payantes. En général, on louait les maisons. Les prix variaient entre 10 et 15 000 FCfa. Il arrivait qu’on ne marchande même pas le prix, à la fin de la soirée, on remettait une petite somme au propriétaire. On louait aussi les chaises à 100 FCfa l’unité pour ceux qui désiraient s’asseoir. Cela nous faisait des revenus en plus. Pour la publicité, on faisait nos tracts et cartons d’invitations au niveau de l’Imprimerie nationale. A 2 500 FCfa, on avait des affiches et on les collait avec de la farine. Certains aussi prenaient des voitures avec des radios et faisaient de la publicité au niveau des quartiers. Rufisque étaient le point de ralliement, les villes voisines y venaient pour assister à ces mondanités», dit-il, sous un rire étouffé…


Sol arrosé, palissade en «krinting» et bâche pour filtrer les entrées et regards indiscrets


Même année, autre ambiance, autre lieu, à des kilomètres à la ronde, dans un patelin coincé dans les lointaines contrées du Sénégal, Abou faisait office de Dj. Jeune fringuant, look gendre idéal, il était le tombeur des jeunes filles. Elles étaient toutes subjuguées par le bonhomme et fondait littéralement devant son charme. Outre ses atouts physiques, il avait la chance d’être en avance sur son temps. Son père, souvent en déplacement à Dakar, lui procurait les dernières nouveautés musicales sous forme de cassettes et il était l’un des rares à posséder un magnétophone. Une aubaine qui lui permettait d’organiser des soirées privées. Fréquemment, il y associait sa bande d’amis. Avec la méthode du téléphone arabe, le message passait à coup sûr. Les cours des concessions qui n’étaient pas pour la plupart clôturées, accueillaient les fêtes au village. Pour créer une ambiance feutrée, Abou et ses copains utilisaient des palissades en «krinting» et arrosaient le sol sablonneux avec de l’eau pour éviter que la poussière ne se lève à chacun de leurs pas de danse. Dans les faubourgs dakaroises, la parade était aussi la même pour parer à cette incommodité du sable. En plus de cette stratégie, une bâche était étendue à même le sol et tout autour, comme une barrière pour filtrer les entrées et être à l’abri des regards indiscrets. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la discrétion était aussi l’un des caractères que revêtaient ses soirées spéciales. 


Lumières tamisées, slow, blues, incartades, les filles en attraction


Outre les lumières tamisées qui cachaient les amours naissants d’adolescents ou la fausse pudeur des filles qui se la jouaient bien séantes dans leurs robes moulantes, fuseaux ou Charleston, il y avait le cadre propice aux «incartades». «Avant de sortir de leurs maisons, la jupe arrivait au niveau de leurs genoux. Une fois dehors, elles les repliaient ou la rehaussaient jusqu'au ventre, de telle sorte que cela devienne une mini-jupe», pouffe de rire Cissé Brown. A certaines heures de la soirée, l’éclairage diminuait en intensité, pendant que la musique se faisait plus douce. La chanson de Youssou Ndour «Demb» qui durait près de 10 minutes, était le signal que les feux étaient verts pour traverser la ligne qui séparait les garçons des filles. Selon Dj Jeannot Diouf, les filles et les garçons ne s’asseyaient pas au même endroit. Pour les couples amoureux, c’était donc le moment privilégié pour échanger des bisous furtifs ou des câlins à la faveur de la pénombre, d’un slow, d’un blues, ou d’un zouk-love et autres thieumbé. Tandis que des mains baladeuses en profitaient alors pour faire une incursion sous les minus jupes ou les décolletés de leurs invitées féminines. En plein milieu de la fête, des voix fluettes s’élevaient parfois pour laisser échapper des complaintes. «Des garçons exploitaient ces moments pour jouer au voyeur ou avoir des gestes déplacés envers les demoiselles sur qui ils n’auraient jamais posé un regard», souligne Marie, témoin de cette époque où les coiffures défrisées étaient à la page. Ça leur donnait, à ses copines et elle, une allure branchée, un look in dans l’air du temps. «Nous étions très sollicitées. Sans nous, les soirées n’avaient pas de saveur et étaient un fiasco total. C’est pourquoi, il y avait beaucoup de concurrence entre les groupes qui rivalisaient d’ingéniosité et d’entrain, pour nous attirer au mieux et nous pousser à participer à leurs soirées, plutôt qu’à une autre», révèle-t-elle. Ainsi, l’entrée était gratuite pour les filles. Sur les cartons d’invitation, il était mentionné : Entrée Femme  «Roupouthie-pouthie», «Souroumlé ba djoli», «Thiompitance», suivant l’expression débridée du moment. 


Œufs bouillis, croquettes, beignets crevettes, sachets de jus, bassine de sirop, sandwichs pour les petits creux


En ce temps-là, elles n’avaient pas trop de liberté et les organisateurs mettaient réellement le paquet pour entrer dans les bonnes grâces des donzelles du quartier. Toutefois, sans se ruiner, il suffisait d’un peu pour les impressionner. Pas besoin d’une bouteille de Liqueur à 50 000 FCfa, de louer un appartement meublé, dresser un buffet bien garni ou encore d’un narguilé pour fumer du chicha. Les jeunes se cotisaient entre eux de petites sommes ou distribuaient à leurs aînés des lettres de soutien. Ces derniers leurs offraient de l’argent ou des bouteilles de sirop, des casiers de boisson. Après avoir amassé un petit pécule, ils en donnaient à la tante du quartier afin qu’elle leur prépare des croquettes, des beignets crevettes, des fatayas, des œufs bouillis, des sandwichs avec de la viande et des frites. En guise de rafraichissements, ils servaient des jus de bissap ou de bouye mis dans des sachets ou, pour faire plus raffiné, dans des gobelets en plastique. «Souvent, on prenait des sirops à la menthe qu’on diluait dans des bassines d’eau. Ensuite, à l’aide d’une louche, on les versait dans des tasses en plastique qu’on disposait sur de grands plats. On faisait le tour pour servir aux invités», raconte Dj Jeannot. Comme quoi, les choses les plus simples suffisent à vendre du rêve. 


Animation calquée sur la radio ou avec des cassettes préenregistrées,  sur des magnétophones à pilles


D’ailleurs, les moyens d’animer ces soirées l’attestent à souhait. Les grosses baffles, les amplificateurs ou les ordinateurs qui servent aujourd’hui de sonorisation dans les bals, étaient remplacés par les magnétophones à pilles. Dans certains villages où l’électricité était un confort, cette pratique était une belle trouvaille. Les jeunes l’alternaient avec une autre méthode tout aussi efficace. «Nous prenions des batteries de voitures que nous relions aux radios et cela les faisaient marcher. Cela nous convenait parfaitement et nous assurions l’animation de la soirée avec des cassettes préenregistrées de la marque TDK ou Maxwell, jusqu’au petit matin», affirme Pape, visiblement sur un petit nuage. Plus surprenant encore, ces magnétophones étaient parfois captés sur la bande Fm. A l’époque, la radio Sud avait ses antennes et émettait dans les coins les plus reculés du Sénégal. Donc, il n’était pas impossible, qu’en plein milieu de la soirée, qu’on soit en train de se trémousser sur un tube de Snow, de Kassav, de Zouk Machine et qu’on entende, le slogan de la chaîne, «Sud Fm, Sen radio», passer en fond sonore. C’était le bon vieux temps!       


MARIA DOMINICA T. DIEDHIOU

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Publié par

Namory BARRY

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