Affaire-Sonko-Adji Sarr, la déraison d’Etat

mardi 2 mars 2021 • 1207 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

Affaire-Sonko-Adji Sarr, la déraison d’Etat

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Ils avaient décidé de ne pas en parler, prétextant une affaire privée. Mais depuis la sortie du chef de l’Etat, la majorité présidentielle ne rate plus l’occasion de commenter l’affaire de mœurs impliquant le leader du Pastef/les Patriotes, Ousmane Sonko. Décryptage d’un intérêt subit. 

Le silence bavard n’aura tenu que quelques jours. D’une affaire classée «privée» par la majorité au Pouvoir, l’affaire Ousmane Sonko/Adji Sarr est subitement devenue une affaire publique, voire d’Etat. L’apolitisme du début a cédé au prosélytisme. Le calme au vacarme. Leader politique - devenu avec le temps avocat de l’accusatrice -, Me El Hadji Diouf a longtemps été esseulé dans le débat, ramant à contre-courant de la thèse du complot, avancée par les soutiens du leader de Pastef dès les premiers…heurts de ce Mortal Kombat, avant que la majorité ne rapplique. Des attaques en bouche, des accusations pleines de verve politique. Qu’est-ce qui a changé entre-temps pour que le Pouvoir décide de briser son silence bruyant ? Etait-ce une simple stratégie du Pouvoir qui avait besoin d’être réinventée face aux contre-accusations de Sonko qui, lors de toutes ses conférences de presse, n’a jamais indexé personne d’autre que le chef de l’Etat, Macky Sall,  comme seule autorité derrière la plainte de Adji Sarr ?

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Tout à fait au bout du bout, presque inexistante, la communication du camp présidentiel sur cette affaire est allée crescendo, jusqu’à toucher les extrêmes le week-end dernier. Dans un chœur médiatique qui a occupé tous les médias, ils se sont illustrés dans la défense de l’accusatrice de Ousmane Sonko. Un tintamarre médiatique qui serait provoqué par la sortie du Président qui, loin d’opiner du chef, a totalement rejeté l’idée d’un possible complot contre son opposant le plus radical du moment. «Je ne peux pas comploter pour des choses aussi basses. Je ne peux pas souhaiter à mon pire adversaire une telle situation. Il y a des accusations, il y a des procédures, il ne faut pas mêler le Président», s’est limité à dire Macky Sall sur les ondes de Radio France internationale (Rfi). Suffisant pour que les langues se délient. Le Premier Vice-Président de l’Assemblée Nationale, Responsable de l’Apr à Thiès, Abdou Mbow, le ministre coordonnateur du pôle communication de la Présidence, Seydou Guèye, le ministre porte-parole du Président de la République, Abdou Latif Coulibaly, les députés Cheikh Seck et Pape Birahim Touré… tous ont rué dans les brancards. 

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«Ce qui est bizarre…»
Cette communication pour le moins excessive de la majorité présidentielle sonne comme une bizarrerie, aux yeux de Babacar Dione, analyste politique et Directeur de publication de Lii Quotidien. «Ce qui est bizarre, c’est que dans le lot des défenseurs de Adji Sarr, il n’y a que des hommes politiques. Ils ont soit des responsabilités politiques au niveau de l’Assemblée nationale, soit dans des partis, membres de la majorité. S’ils se mettent à défendre un dossier civil par rapport à la plainte de Adji Sarr, on est en droit de se demander ce qu’ils ont à faire dans cette affaire. C’est pour cela que la thèse du complot politique est d’autant plus avérée. La tournure que sont en train de prendre les événements montre aisément que les gens de la majorité ont intérêt à ce que Adji Sarr gagne dans cette affaire. Ils ont transformé ça en une bataille politique. Maintenant, on n’entend plus la thèse de la justice, de procédure judiciaire. Même les juristes qui en parlent sont dans un camp ou dans un autre. Nous avions tous apprécié le silence des responsables de Benno Bokk Yakaar (Bby). Si au départ, Ousmane Sonko avait intérêt à en faire un débat politique, l’Etat n’avait pas à le retrouver sur ce champ.» Celui de la communication où les arguments sont plus politiques que judiciaires. Moussa Diaw, Docteur en Sciences politiques, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), s’en explique : «La majorité avait décidé de ne pas en parler, mais au même moment, s’opérait une bataille de l’opinion occupée par les leaders du Pastef/les Patriotes, qui défendent la thèse du complot. Mais après, ce qui s’est passé, c’est que les leaders de l’Apr se sont rués vers les médias pour se défendre des attaques du Pastef. Ils disaient qu’ils n’ont rien à voir avec le complot dont on parle, paradoxalement, ils s’y prennent mal parce que vu l’offensive de leur part pour dire qu’ils n’ont rien à voir avec le complot, de par leur argumentation, ça accrédite la thèse du complot. Ils en parlent en masse et du point de vue de l’opinion, ça accrédite la thèse du complot. Cette communication excessive de l’Apr sur une affaire dite privée laisse planer le doute. L’opinion publique risque de croire davantage à la thèse du complot. Au regard des vagues d’arrestations au sein de l’opposition, notamment du Pastef, qu’est-ce qui justifie cela dans une affaire privée où le pouvoir dit n’avoir rien à se reprocher ? La majorité est dans une situation difficile sur le plan de la communication parce qu’il y a un doute sur sa thèse.» Surtout que selon Babacar Dione, l’une de leurs erreurs a été de suivre Ousmane Sonko sur son terrain. «Malheureusement, le constat est qu’ils sont tombés dans le piège de Ousmane Sonko, assure Babacar Dione. Sonko n’a pas intérêt que le débat soit laissé à deux particuliers parce que ça allait écorner son image. Il avait intérêt, dès les départ, à brouiller les pistes, à dire que c’est un complot. Aujourd’hui, les faits sont en train de lui donner raison. Cette passion et cet engagement avec lesquels les responsables de la majorité sont en train de défendre Adji Sarr sont incompréhensibles. Nous sommes sur un terrain politique et cette affaire concerne le leader de Pastef/les Patriotes, un leader de l’opposition, ça peut avoir des ramifications politiques. Mais, l’exagération, l’excès de défense dans ce dossier de Adji Sarr par les responsables de Bby pose problème. On pouvait comprendre un communiqué du porte-parole de l’Apr ou de Bby et même du gouvernement pour dire qu’ils ne sont pas mêlés à cette affaire. Mais le week-end dernier, ça allait dans tous les sens, les responsables de Bby étaient sur toutes les chaînes radio et télé pour défendre le dossier Adji Sarr.» 


«Des moyens de l’Etat utilisés»
Depuis qu’ils ont rejoint les débats dans cette affaire de mœurs, la majorité crie partout qu’il n’y a pas de complot et que le leader de Pastef doit s’assumer et laisser la justice faire son travail. Un argumentaire pas du tout convaincant, selon Dr Diaw. «Une affaire privée qui aurait dû être marginalisée, mais on lui a donné tellement de sens que dans l’accomplissement, même des actions qui se cachent derrière ce problème de mœurs, montrent bien une stratégie visant à éliminer un adversaire. Cela montre qu’il y a quelque chose derrière. Plus la majorité se justifie, plus elle s’accuse. Et des actes qui renforcent le complot se posent tous les jours. Une affaire privée, on lui a donné un sens élargi et cela décrédibilise la thèse d’une affaire strictement privée. C’est même devenu une affaire d’Etat», argue Dr Diaw. Surtout que selon le journaliste et analyste Babacar Dione, il y a même l’implication de l’Etat. «Comment une personne qui a accusé un autre Sénégalais de viol peut être encadrée de la sorte. Les moyens de l’Etat sont utilisés. On peut comprendre qu’on la protège pour qu’elle ne soit pas attaquée, mais il y a un excès dans l’engagement sur ce dossier, autant de la part des démembrements de l’Etat, autant de la part de Bby  que de l’Apr. C’est flagrant. Et ce qui fait penser que tout le monde s’est ligué contre Ousmane Sonko pour régler des comptes politiques. Pour Ousmane Sonko, c’est de bonne guerre qu’il continue à faire des sorties, puisque c’est lui qui est directement accusé, mais le pouvoir doit savoir raison garder et se taire. Ils devraient adopter la tactique du silence et laisser la justice finir son travail. Ce n’est pas le cas et il y a une confusion. Le Président Macky Sall doit siffler la fin de la récréation. Il n’y a rien d’extraordinaire pour que tout le monde se mobilise autour de cette question.» Même l’argument selon lequel, la majorité dans cette histoire défend l’Etat de droit ne tient pas, selon Dr Diaw. «Quand on veut défendre l’Etat de droit, on laisse la liberté d’expression aux citoyens. La liberté, c’est le fondement de la démocratie. Il fallait en débattre certes, mais comme c’est une affaire privée, il ne fallait pas lui donner une tournure politique qui s’inscrit dans une logique de mise à mort et on le fait maladroitement et cela renforce la personne qui est considérée comme une victime politique. Leur stratégie de communication est contreproductive parce que les acteurs qui sont mis en action n’ont pas les éléments nécessaires pour convaincre l’opinion publique. C’est paradoxal et ça pose une ambiguïté de leur part et malheureusement ça risque de se retourner contre eux.»
CODOU BADIANE                                                                                         

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Publié par

Namory BARRY

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