Dette publique : Le Sénégal risque d'être confronté à un problème de liquidité

mercredi 30 décembre 2020 • 1007 lectures • 1 commentaires

Économie 3 ans Taille

 Dette publique : Le Sénégal risque d\'être confronté à un problème de liquidité

PUBLICITÉ

La dette reste un sujet de vigilance pour le Sénégal. Pour financer le plan de relance, le Gouvernement s’est lancé dans une politique d’endettement «mesurée». Estimé en fin décembre 2019, à 7825,3 milliards de FCfa, soit 56,6% du Produit intérieur brut (Pib), l’encours de la dette publique s’est alourdi davantage.

Pour l’année 2021, le ministre chargé des finances a été autorisé à contracter des emprunts, à recevoir des dons au nom de l’Etat du Sénégal et à lever des ressources de trésorerie pour un montant total de 1 363 220 000 000 de FCfa.  Pour les services du ministère des Finances et du budget, l’encours de la dette publique est de 9 114 milliards FCfa et il est encore inférieur au plafond de la dette. Mais le Sénégal risque de dépasser allègrement le seuil d’endettement de 70% autorisé dans l’espace Uemoa, selon l’économiste et enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Meissa Babou et l’expert financier Mohamed Dia. Pour ces deux spécialistes de l’économie, si le portefeuille de la dette publique est mal structuré, il expose le Sénégal aux chocs économiques et financiers.

PUBLICITÉ


A-T-ON TOUCHE LE PLAFOND D’ENDETTEMENT ?

PUBLICITÉ


Mohamed Dia : «Avant la pandémie, le Sénégal avait un taux d’endettement de 63,3 % et on ne disposait plus de manœuvres suffisantes pour nous endetter davantage. Le Fmi avait fixé notre seuil d’endettement à 448 milliards de FCfa pour l’année 2020. Notre dette qui était de 9 114 milliards FCfa, ne devait en aucun cas dépasser 9 563 milliards FCfa. Avec la pandémie, le Sénégal a fait un choix keynésien d’augmenter les dépenses pour éviter la catastrophe. Nous ne sommes pas loin du plafond de 70 %, mais cela ne doit en aucun cas, être une priorité en ce moment. La zone devrait même, à mon humble avis, enlever ce seuil pour que les pays puissent s’endetter davantage dans le but de sauver leur économie. Nous pouvons nous attendre à un taux d'endettement qui dépasserait le seuil de 70 %. On doit nous assurer que les ressources mobilisées soient bien allouées, sinon si la dette dépasse un niveau critique, elle devient un fardeau et exerce une pression négative sur l’investissement et la croissance. Parmi les pays les plus endettés en Afrique, on retrouve les pays les plus riches, l’Afrique du Sud, avec plus de 450 000 milliards FCfa de dette, l’Egypte avec 170 000 milliards FCfa, donc endettement ne rime pas forcément avec pauvreté, il s’agit de bien allouer les recettes mobilisées.»


Meissa Babou : «A partir de la première vague du Covid-19, le Sénégal, avec un surplus d’endettement, a touché le fond. Nous sommes à un niveau autorisé (les 70% de l’Uemoa), mais ce n’est pas ce ratio qui est déterminant. D’autres pays sont à 100% ou plus, comme l’Italie qui est à 150 %. Mais ces pays ont une capacité d’organisation économique et financière qui leur permet de faire face à un encours de la dette. Nous sommes un pays hors pétrole et hors gaz, pour le moment, qui ne compte que sur la fiscalité. Par conséquent, avec un service de la dette de 80 milliards FCfa par mois, on risque d’être confronté à un problème de liquidité. Ce qui est d’ailleurs le cas avec le Trésor public. C’est pourquoi il urge de prendre ce ratio comme étant simplement une référence absolue. Mais chaque pays, selon ses moyens, doit savoir limiter son endettement, comme le Ghana qui a refusé et retourné un financement d’un nouvel aéroport. Cependant, le Sénégal qui n’est pas regardant, est aujourd’hui obligé de trier partout pour l’annulation d’une dette qui est surtout privée. Ce qui est impossible.»


L’IMPACT REEL DE LA COVID SUR LA DETTE ?


Mohamed Dia : «Pour financer le Fonds force Covid-19, le Sénégal avait retiré ses quotes-parts au Fmi. Et ensuite pour l’aide d’urgence aux sinistrés des inondations, l’Etat a puisé dans les indemnités de l’Assurance de la mutuelle panafricaine de gestion des risques (Arc LTD). L’impact sur la dette est réel et obligatoire en même temps, car c’est la seule manière de pouvoir survivre durant cette crise sanitaire. En observant notre portefeuille de la dette publique, on voit que nous sommes fortement exposés au risque du taux de change, et nous avons de la chance que le dollar est en train de déprécier, ce qui réduit la dette. La dette pesait sur l’économie et non sur la relance, donc il est impératif que l’Etat pose des actes concrets pour une relance correcte de l’économie.»


Meissa Babou : «L’impact du Covid sur l’endettement est surtout lié à la fiscalité. Nous sommes un pays, qui ne compte que sur la fiscalité. Si vous perdez de la fiscalité, ça va forcément impacter le Trésor. Sans compter que pour avoir les 1 000 milliards FCfa de subvention, il a fallu presque 6 000 milliards FCfa de dette. Le Covid a donc joué sur le plan des recettes, mais il nous oblige aussi à un surendettement.» 


LES CONSEQUENCES DE L’ENCOURS DE LA DETTE ?


Mohamed Dia : «Les conséquences peuvent être dévastatrices, car quand on a une balance déficitaire et qu’on ne peut pas emprunter à notre guise, sans dépasser le seuil d’endettement, l’Etat n’a plus les moyens de sa politique. Cependant, il sera presque impossible de voir un pays aller vers la faillite de nos jours, avec tous les mécanismes mis en place pour éviter un tel scénario. Dans la zone Uemoa par exemple, il y a le règlement 09/2007/CM/UEMOA qui exige aux pays membres de mettre en place une stratégie de gestion de la dette à moyen terme qui accompagne la loi de finances. Selon ce document, la dette publique est ainsi répartie : Commerciale 6,2 %, Semi-concessionnelle 8,7 %, Obligation du Trésor 11,5 %, Eurobond 29,7 %, Concessionnelle 43,8 %. Si le portefeuille de la dette publique est mal structuré, il expose le pays aux chocs économiques et financiers et peut être cité comme l’une des causes principales des crises économiques. Un endettement doit être bien structuré, que cela soit des taux d’intérêt, des devises libellées et ou des échéances, entre autres, car cela est déterminant durant les périodes de crise. Il faut veiller à ne pas avoir beaucoup de prêts à court terme ou à des taux variables, car cela peut affecter le budget. On ne peut pas prédire les conditions du marché et la cote de crédit du pays en question. On fait aussi appel aux Eurobonds qu’on appelle aussi euro obligation qui permettent aux Etats d’emprunter dans une autre devise et ils sont principalement libellés en dollars. La dépendance à la monnaie étrangère ou péché originel est le fait que la plupart des pays ne peuvent pas emprunter à l’étranger dans leur propre monnaie. Cela affecte presque toutes les monnaies, sauf le dollar américain, l’euro, le yen, la livre sterling et le franc suisse. Notre dette est ainsi répartie : Dollar américain 46 %, Euro 39 %, XOF 15 %.»


Meissa Babou : «Depuis 2018-2019, le Sénégal caracole au sommet de ce ratio de la dette autorisé par l’Uemoa. Même si la Banque mondiale nous dit à chaque fois que c’est faisable, tant que nous avons une croissance. Ce qui n’est plus le cas. Le Sénégal n’a pas une capacité de résilience économique et financière. L’encours de la dette de 9 114 milliards FCfa va nous empêcher de réaliser certains projets. Mais que peut-on faire avec 80 milliards par mois ? Si pour le moment, cette dette n’empêche pas de payer les salaires, la bourse des étudiants, etc. il ne faut pas oublier que l’Etat devait dans ses missions d’investissements économiques et sociaux disposer à chaque fois une manne financière. Mais 9 000 milliards FCfa puisés dans les caisses de l’Etat tous les ans, cela limite les interventions du Gouvernement à tous les niveaux et ça aggrave la dette intérieure.»


POLITIQUE D’ENDETTEMENT BONNE OU MAUVAISE ?


Mohamed Dia : «Durant le premier mandat, la politique d’endettement du Sénégal n’était pas réfléchie et était plutôt électoraliste, c’est ainsi que selon la DPEE, la dette qui représentait 45,7 % en 2013 a accru à 50,6 % en 2014, 55,7 % en 2015, 59 % en 2016 et 61,44 % en 2017. On voit que la dette accroît entre 4 et 5 % par an. Cette dette était certes soutenable, car la croissance était entre 6 % et 7 %, cependant les ressources ont été mal allouées et il n’y a pas eu de balance entre les projets sociaux et les projets qui ont un retour sur investissement.


Avec la pandémie, le Sénégal est devenu prudent dans sa manière de s’endetter et d’allouer les ressources mobilisées. Pour l’année 2020, on note que 28 % du besoin de financement est en DTS avec un taux d’intérêt fixe - 21 % en Euro avec un taux fixe et 18 % semi concessionnel en euro avec un taux variable - pour ne citer que ceux-là. En analysant la répartition sectorielle des projets programmes, on voit que les infrastructures et services de transports routiers représentent 52,1 % des projets et cela peut être une bonne chose, tant que l’administration publique s’assure que les fonds sont bien alloués et qu’il n’y a pas de corruption dans la mise en œuvre de ces projets. On peut s’attendre à une relance de notre économie en 2021.»


Meissa Babou : «L’endettement est reconnu comme étant un excellent levier de développement. Mais il faut que cet endettement soit rationalisé. C'est-à-dire être à un niveau acceptable. Jusqu’à 50% d’endettement, le Sénégal peut tenir et si on était à la moitié de ce ratio, le Sénégal ne paierait que près de 40 milliards FCfa par mois. Mais quand vous dépassez ce ratio, avec cet encours que nous avons présentement, l’option d’une dette devient néfaste pour la gouvernance financière. Et les risques peuvent être l’augmentation des prix, l’arrêt de certains projets. La politique d’endettement, si c’est une option, doit être rationalisée. Elle doit être bien faite et ne concerner que les urgences d’une demande sociale comme la santé, l’énergie… Mais quand on s’endette pour des projets comme le Brt ou le Ter qui ne sont d’aucune utilité publique... Si on met autant d’argent dans des projets qui ont une connotation purement politique, l’option de votre endettement ne se justifie pas. Et vous mettez le pays en danger d’un ajustement structurel que la Banque mondiale pourra vous imposer un matin. Mais tant qu’il y a corruption dans les fonds alloués aux projets, l’endettement ne pourra jamais relancer l’économie.»


FALLOU FAYE

Cet article a été ouvert 1007 fois.

Publié par

Namory BARRY

admin

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Ndiaga Ndiaye

Directeur de publication

Service commercial