Dossiers Petronor, Barrick Gold, Centrale de Sendou… L’Etat face à la justice internationale

mercredi 19 mai 2021 • 3021 lectures • 1 commentaires

Économie 2 ans Taille

Dossiers Petronor, Barrick Gold, Centrale de Sendou… L’Etat face à la justice internationale

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C’est devenu fréquent. Ou presque. Pour une affaire fiscale, un retrait de licence pétrolière ou une cessation de paiement, le Sénégal fait aujourd’hui face à la justice internationale pour des contentieux à milliards FCfa. 

De l’affaire Arcelor Mittal, dossier à retentissement mondial, concernant les mines de fer de la Falémé - où le Sénégal était contraint, en 2014, de payer 75 milliards  FCfa au lieu de 2 300 milliards FCfa – à l’affaire de la centrale à charbon de Sendou, placée en redressement judiciaire, 2 ans et demi après son inauguration pour cessation de paiements auprès de plusieurs dizaines de créanciers, portée devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja) de l’Uemoa, en passant par l’affaire Barrick Gold, un litige fiscal qui a récemment occupé la Une des journaux, le Sénégal est presque devenu un habitué des prétoires de la Chambre arbitrale internationale de Paris et de la Ccja de l’Uemoa. A ces contentieux devant la justice internationale, s’ajoute l’épineuse affaire Petronor, du nom de la firme norvégienne et émiratie, qui avait porté plainte devant le Centre international de règlement des différends (Cirdi) de la Banque mondiale à la suite du retrait de son permis d’exploration. Dans cette affaire, la société pétrolière reproche au Sénégal de lui avoir indûment retiré en 2017 deux permis clés : Sénégal Offshore sud profond et Rufisque Offshore profond. L’arbitrage a été relancé le 5 avril dernier, après une période d’un an de suspension, au cours de laquelle les deux parties avaient échoué à trouver un accord à l’amiable. Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi le Sénégal est en passe de devenir un pays dont la signature, gage de crédibilité en matière de commerce international, est aujourd’hui remise en question par certains de ses co-contractants ?

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«C’est une affaire de précaution par rapport à la justice du pays d’accueil»
Professeur agrégé de droit privé, spécialiste du Droit de l’ingénierie financière et du Droit des Partenariats publics privés (Ppp), Abdoulaye Sakho fait savoir que ces plaintes contre le Sénégal sont liées à la nature des contrats. D’après le Pr Sakho, quand un privé vient investir dans un pays, il s’organise pour signer un contrat avec l’Etat qui va étayer son investissement. Et dans le contrat, il est souvent prévu les modalités de règlement des litiges. «C’est du Droit de l’investissement. Dans ces modalités de règlement des litiges, tout dépend de la capacité de négociation des parties. La partie la plus forte va s’organiser pour dire que ce n’est pas vos tribunaux à vous qui accueillent l’investissement, qui règlent le problème. Ils ne peuvent pas être juge et partie. Ce n’est pas une affaire de confiance, mais une histoire de précaution par rapport à la justice dans le pays d’accueil de l’investissement», explique-t-il. Premier  directeur de l’Ecole doctorale des Sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion (Edjpeg) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Professeur Sakho rappelle que le problème, il est entier et il est dans le fait qu’il appartient plutôt à nos Etats de pouvoir à la limite s’organiser pour avoir un pouvoir de négociation un peu plus fort face aux investisseurs. Par contre, si les pays en voie de développement ne s’unissent pas ils deviennent faibles, parce que ce que l’investisseur ne gagne pas au Sénégal, il peut l’avoir par exemple en Gambie ou en Guinée. D’après le Pr Sakho, ils mettent ainsi les Etats en concurrence et chaque pays essaye de plus en plus de faire plaisir à l’investisseur pour qu’il reste chez lui.
Spécialiste du droit des affaires, Pr Sakho fait comprendre que dans ces contrats chaque partie a des obligations qu’elle doit remplir. Et à un moment donné, si une partie se rend compte que ce que l’autre avait dit n’est pas ce qu’il est en train de faire, il peut porter l’affaire devant une Cour d’arbitrage. C’est du droit de l’investissement qui est comme ça. Pour éviter ces genres de contentieux devant les juridictions internationales, le Professeur Sakho invite l’Etat du Sénégal à mieux s’organiser pour avoir de très bons négociateurs. Parce que, d’après lui, quand les investisseurs arrivent, ils viennent avec une batterie d’avocats, des experts comptables et autres. Alors que le pays d’accueil est souvent représenté par ses fonctionnaires en charge du secteur où l’investisseur doit intervenir. Et comme ces multinationales sont des gens forts, on leur fait souvent des faveurs et des avantages sociaux. Pr Sakho : «Nos Etats, quand ils signent ce genre de contrat, ils ne prennent pas souvent toutes les précautions nécessaires. Et on nous fait signer quelque fois n’importe quoi et en cours de contrat, on se rend compte que ce n’est pas bon pour notre pays et on essaye de se rebiffer. Alors que les autres vont dire que c’est ça que vous avez signé donc on va devant le juge.»

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«Il y aura forcément un impact sur la signature du pays»
Cette fréquence du Sénégal devant les Cours d’arbitrage pour le Pr Sakho, aura forcément un impact sur la signature du pays. Mais cela peut être interprété de deux manières. «On peut pour certains dire que c’est un pays belliqueux, c’est pourquoi il est tout le temps en procès. Et ça donne l’impression d’une mauvaise réputation. Par contre, comme on va tout le temps devant les tribunaux, les gens peuvent se dire que c’est un pays de droit et s’il y a des problèmes, ils vont le régler devant la justice. On peut l’interpréter des deux côtés. Seulement dans un contrat, on préfère qu’on n’aille pas devant le juge, c'est-à-dire que ça a été exécuté de bonne foi sans aucun problème. Mais quand on va devant le juge, on pense au moins que l’une des parties n’est pas de bonne foi», ajoute le spécialiste du droit des affaires. 
Mais ces contentieux devant les Chambres arbitrales, pour l’Agent judiciaire de l’Etat, Me Moussa Bocar Thiam, n’ont pas un impact négatif sur la signature du Sénégal. Au contraire, pour l’Agent judiciaire de l’Etat, ça renforce la crédibilité du pays. Ancien avocat au barreau de Paris et actuellement au barreau de Dakar, Me Moussa Bocar Thiam souligne que c’est une preuve même de bonne signature du Sénégal. «Le fait que le Sénégal soit attrait aisément devant ces juridictions d’arbitrage montre simplement que nous sommes un Etat de droit et démocratique qui respecte sa signature. Le Sénégal n’est pas un Etat belliqueux parce que ce sont les investisseurs qui attraient l’Etat devant le tribunal arbitral. Et c’est dans l’ordre normal des choses parce que cela fait partie du monde des affaires. Et ce sont des clauses d’arbitrage qui figurent dans les contrats signés par le Sénégal», se défend l’Agent judiciaire de l’Etat. Aujourd’hui, d’après le successeur de Félix Antoine Diome à la tête de l’Agence judiciaire de l’Etat, le Sénégal dispose techniquement de moyens pour se défendre devant les juridictions internationales. «Nous avons une Agence judiciaire de l’Etat qui coordonne toutes les procédures avec un personnel très qualifié et pointu, les meilleurs avocats», renseigne-t-il. 


«Le Sénégal n’est pas un Etat belliqueux parce que ce sont les investisseurs qui l’attraient devant le tribunal arbitral»
Pour avoir une idée de ces contentieux, Me Thiam invite à comprendre le contexte dans lequel le monde des affaires évolue. D’après lui, depuis une dizaine d’années, le Sénégal a fait l’option d’un partenariat public privé, et l’Etat a aussi signé plusieurs conventions avec des investisseurs dans les domaines de l’énergie, des mines, du pétrole, etc. «Ces partenariats publics privés ont la particularité d’être toujours adossés à des contrats internationaux. Dans la pratique des affaires, les parties évitent toujours un contentieux juridictionnel. On prévoit toujours dans les conventions une première phase de négociation qui est quasiment obligatoire. Et une seconde phase contentieuse, mais d’arbitrage pour éviter un règlement juridictionnel des litiges», confie l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje). Aujourd’hui, l’Aje informe que la plupart des contrats prévoit une clause d’arbitrage qu’on appelle l’arbitrage d’investissement. Et souvent les organismes chargés de ces arbitrages sont soit au niveau régional avec la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja) de l’Uemoa, ou international avec la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce international (Cci) de Paris ou le Centre international de règlement des différends (Cirdi) de la Banque mondiale. Toutefois, si l’arbitrage a la particularité de pouvoir trancher un litige où chaque partie désigne un arbitre et prend ses avocats, l’Aje apprend que dans la plupart des cas, l’Etat du Sénégal a gagné ses contentieux grâce à la bonne coordination de l’Agence judiciaire de l’Etat. Non sans préciser qu’aujourd’hui, l’Agence judiciaire de l’Etat gère des contentieux sur lesquels, il ne peut pas aller sur le fond parce que ce sont des affaires qui sont en cours et que ses déclarations pourraient influer dans les procédures.


«Pour 2021, nous avons deux nouveaux contentieux»
Me Moussa Bocar Thiam : «Nous avons de nouvelles procédures liées à l’affaire Barrick Gold, celle de la centrale de Sendou et celle de Petronor. Dans toutes ces procédures, c’est l’investisseur qui attrait le Sénégal devant l’arbitrage international. Les Etats n’ont pas la tradition d’attaquer ou de traduire des investisseurs à l’arbitrage. Et pour 2021, nous n’avons que deux dossiers - affaire Barrick Gold et centrale de Sendou - d’arbitrage. Aujourd’hui, le Sénégal n’a que trois dossiers d’arbitrage qui sont en cours.» Cependant, pour l’Agent judiciaire de l’Etat, les investisseurs comme les Etats ne souhaitent pas avoir des règlements juridictionnels. Ils préfèrent toujours faire des règlements par la voie d’arbitrage. 
Pour l’enseignant-chercheur en droit privé à l’Ucad, Iba Barry Camara, lorsque les parties décident d’aller en arbitrage, c’est qu’elles s’engagent à exécuter volontairement la sentence arbitrale, sans devoir recourir à l'exequatur. Parce que ceux qui sont signataires d’un contrat sont considérés comme des partenaires. Donc le fait que le Sénégal soit porté devant les juridictions internationales, c’est dans la marche normale des choses. «L’Etat entretient des rapports avec des tiers qui peuvent être des Etats ou des privés. Et dans tout rapport juridique, il peut y avoir certainement des litiges. L’Etat conclut des contrats, on peut donc l’attaquer comme l’Etat peut attaquer devant le tribunal arbitral ou à des juridictions communautaires», dit-il.  


*Arrivé au Sénégal en 2020, après avoir bouclé un accord avec Teranga Gold sur le projet aurifère de Massawa, une facture fiscale envoyée à Barrick Gold par l’Etat du Sénégal est à l’origine du litige. Le géant minier Barrick Gold a confirmé, le 1er mars dernier, avoir soumis à l’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (Cci) de Paris un litige fiscal avec les autorités sénégalaises.


FALLOU FAYE

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Publié par

Namory BARRY

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