Doudou Sène, Plongeur raconte : «Le jour où j'ai repêché 4 corps de migrants sénégalais"

mercredi 18 novembre 2020 • 875 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

Doudou Sène, Plongeur raconte : «Le jour où j\'ai repêché 4 corps de migrants sénégalais\

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En début de semaine, alors qu’une partie des Sénégalais décrétaient un deuil virtuel pour ceux qui ont péri en mer dans l’entreprise d’émigration, Doudou Sène lançait un message de détresse à ceux tentés par l’aventure. A 41 ans, le plongeur professionnel, engagé dans le sauvetage en mer aux Îles Canaries, en a marre de voir ses frères sénégalais mourir de manière atroce.

Sur internet, vous lancez un message d’alerte aux jeunes tentés par l’émigration par voie maritime. Vous leur demandez expressément d’acheter un gilet de sauvetage et un médicament contre le mal de mer. Ne faites-vous pas une incitation et une apologie de l’émigration dite clandestine ?

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Des gens m’ont effectivement appelé, m’accusant d’encourager cette sorte d’émigration. Cela ne peut pas être plus faux. Je suis un plongeur et pratiquement chaque jour, je suis confronté à la souffrance et au désespoir des jeunes venant par pirogues. Comment pourrais-je encourager cela. Je n’aime que le Sénégal et voir de jeunes sénégalais mourir par centaines m’est très difficile. D’ailleurs, si ces candidats connaissaient réellement les conditions du voyage, ils hésiteraient à le faire. Je n’encourage personne. Je veux juste sauver des vies. Le jour où j’ai fait la vidéo, j’étais à bout. Je venais de repêcher encore quatre corps de Sénégalais. Ce sont des images terribles.

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Dans la vidéo, on ressent effectivement votre détresse…


Je n’ai pas réfléchi avant de lancer la vidéo, c’était dans le chaud de l’action. J’avais vu, rien que ce jour-là, 17 morts, la plupart étaient des Sénégalais. Je suis Sénégalais et ça reste difficile.


On parle de recrudescence de ce phénomène entre la pirogue qui a explosé, le naufrage ou l’abordage d’une autre et les statistiques de l’Oim chiffrant à 480 le nombre de Sénégalais ayant perdu la vie. Est-ce une recrudescence que vous ressentez de l’autre côté ?


Les voyages en pirogue n’ont jamais vraiment cessé, surtout dans le sud de l’Espagne, à Grenade. Mais ce sont là de petits bateaux qui viennent du Maroc. C’est vrai qu’il y a un plus grand nombre d’arrivées depuis la "fin" du Covid-19. Ce sont généralement des grandes pirogues qui proviennent de Saint-Louis, Kayar, Yoff… Les régions côtières du Sénégal que je reconnais au bois : je suis pêcheur et fils de pêcheur. Avant, j’avais une à deux pirogues tous les 2 mois. Actuellement, on peut en avoir 7 par jour. Les sauveteurs sont débordés.


Vous dites reconnaître le bois des pirogues qui viennent du Sénégal. Quelles sont les autres provenances ?


Sénégal, précisément Mbour, Kayar et Saint-Louis. Les jeunes n’ont a priori pas confiance lorsqu’ils arrivent. Ils refusent donc pour la plupart de parler, mais je reconnais les traits. Je les aborde pour les mettre en confiance et certains finissent par me parler, ils racontent alors leurs histoires. Il y a aussi des Maliens, des Gambiens, des femmes camerounaises. Mais les Sénégalais, les Maliens et les Gambiens sont plus fréquents ici.


«Les gamins meurent aussi de déshydratation. Ils vomissent tellement qu’ils ressemblent à des vampires. Ils vomissent d’abord la nourriture, puis un liquide vert et enfin du sang»


A ce stade du voyage, les émigrés sont-ils saufs ?


Plus de la moitié des pirogues qui arrivent jusqu’aux Canaries, chavirent. Simplement parce qu’ils sont impatients de débarquer. Lorsqu’ils voient un bateau de sauvetage, au lieu d’attendre sagement, ils se mettent tous à aller d’un côté de la pirogue pour accoster les sauveteurs. Ce qui fait couler l’embarcation. Il y en a au maximum 5 qui savent nager, le reste coule très rapidement. Ce qui me fend le cœur, c’est qu’ils coulent alors que l’eau n’est même pas très profonde. Comme le reste de l’équipe, je descends avec ma bouteille d’oxygène pour les sauver, mais je n’ai que deux bras et donc je ne peux que remonter deux à la fois. Ce qui ne laisse pas beaucoup de chance aux autres. Lorsque je redescends dans l’eau, je sais donc que je vais repêcher des corps sans vie.


En général, il faut combien de minutes pour se noyer ?


Pas plus de trois (3). On fait les premiers secours, mais en général c’est irréversible.


A combien estimez-vous le nombre de naufragés depuis cette recrudescence ?


Facilement à 300 naufragés, toutes nationalités confondues.


Que faites-vous des corps une fois repêchés ?


Je ne sais pas, mon travail s’arrête là. Je remonte les vivants qu’on laisse aux autorités, tandis que les morts sont mis dans l’ambulance. Je pense qu’on les enterre ici, mais je ne sais pas… J’ai posé la question, mais je n’ai pas eu de réponse satisfaisante.


Dans votre vidéo, vous disiez avoir besoin de psychologue à cause des scènes d’horreur auxquelles vous êtes confronté dans votre métier...


Je suis malheureusement très sensible, je pleure très facilement et je peux vous dire que je pleure beaucoup actuellement. Voir des morts alignés et savoir que derrière chaque cadavre, il y a une vie qui s’arrête, un espoir qui s’éteint, une famille qui attend… C’est difficile. Les gamins meurent par noyade, mais aussi de déshydratation. Ils vomissent tellement qu’ils ressemblent à des vampires. Ils vomissent d’abord la nourriture, puis un liquide vert et ensuite du sang. Les pirogues sont dans des états pitoyables à l’arrivée, il y a du vomi partout. Ils meurent et leurs parents ne savent même pas qu’ils sont morts, ni où ils sont enterrés. D’autres arrivent dans un état d’agitation psychologique incroyable, on comprend qu’ils ont vécu des choses inavouables durant le voyage, comme par exemple le fait de jeter un camarade en mer parce qu’il délire. Ce qui est normal, le voyage dure entre 8 et 10 jours, la navigation se fait à contre-courant. Ils sont donc confrontés aux secousses, au froid, au vent, à la peur.


Ils sont combien à l’arrivée dans les pirogues ?


Nous sommes une équipe de 5 sauveteurs pour au moins 120 personnes. Ils sont entre 120 et 150 dans les pirogues. A l’arrivée, on les sépare en groupes de mineurs, de femmes, de malades etc.


AICHA FALL

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Publié par

Namory BARRY

admin

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