Enquête : Le drame des enfants nés sans père

vendredi 1 avril 2022 • 3682 lectures • 1 commentaires

Société 2 ans Taille

Enquête : Le drame des enfants nés sans père

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Ils n’ont pas demandé à naître, mais le destin en a décidé autrement. Nés au mauvais moment et au mauvais endroit, Alimatou, Moussou, Médoune, Babacar et Papy ont grandi loin du giron paternel. Sans papa. Loin de cette figure qui donne une identité et forge une personnalité. Abandonnés et souvent non reconnus par leurs géniteurs, ces enfants ont poussé, sans véritable ancrage familial et ont beaucoup souffert de l’absence de la figure paternelle.

Aujourd’hui, responsables, ils ont emprunté le chemin sinueux de la quête d’identité. L’Obs a suivi leurs traces.  
Le ton est posé, la voix douce, châtiée parfois par un léger trémolo. Sur les ondes de la radio, Alimatou* impose un timbre serein à sa voix qui se brise en un lourd sanglot, dès le micro éteint. Off the record, le vernis craque dès qu’on la replonge dans son enfance. Un coup d’œil dans le rétroviseur qui, loin d’expier ses démons, la fait sortir de ses gonds. D’abord, c’est un rire creux qu’elle offre dès qu’on aborde le sujet. Ensuite, un regard noir puis un air rageur qui ferait se dresser les cheveux sur la tête. Alimatou n’a jamais connu son père. Un drame qui chahute sa vie depuis qu’elle en a été consciente. Avec elle, la colère affleure à chaque question et chaque réponse est une rage. On marche sur des œufs. Il faudrait plusieurs fois l’intervention de son «tuteur», courroie de transmission, pour l’aider à faire le point sur ses sentiments. Chaque intervention lui prend 5 minutes. Cinq minutes thérapeutiques pour qu’Alimatou concède à poursuivre l’entretien. A chaque fois, le même scénario : elle s’excuse, se rassoit, tortille ses doigts, baisse son regard.  Quelques secondes de contemplation de la moquette caramel du studio radio. Avant que la machine ne s’huile et qu’elle démarre son récit. «Je ne connais pas mon père. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il fut un enseignant dans la région de Kaolack vers les années 90, habitait la commune de Guéoul, dans le département de Kébémer. C’est un enseignant à la retraite qui servait dans la même école que lui qui m’a donné ces informations. D’ailleurs, il m’a précisé que mon père a été affecté avant ma naissance, car il avait un comportement répréhensible. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je veux le retrouver, parce que je dois me marier incessamment. Et, j’aimerais qu’il prenne part à cette cérémonie.» Tel un refrain, Alimatou balance son annonce, d’un trait. Aujourd’hui orpheline avec la disparition de sa mère, trouver son père reste sa seule planche de salut, l’unique moyen de trouver sa place dans la société. Là est l’énigme de toute une vie, une «obsession» qui empêche Alimatou de se réaliser pleinement. Comme un besoin impérieux d’exister, de savoir d’où elle vient pour savoir où elle va, la jeune femme s‘est lancée, depuis sa majorité, dans une quête effrénée d’identité.
Vingt ans qu’elle cherche son père, vingt ans qu’elle se heurte toujours à un mur. Qu’elle fait face à cette indescriptible douleur qui lui comprime la poitrine à chaque fois qu’elle évoque le sujet. D’ailleurs, cette éternelle phrase répétée à l’envi depuis qu’elle connaît son histoire, résonne comme un refrain à l’oreille de son «tuteur». «Quelle que soit sa situation, j’aimerai retrouver mon père. J’ai tellement besoin de le connaître pour qu’il me donne un nom et une identité», ne cessait-elle de répéter à qui daigne lui prêter une oreille attentive. Aujourd’hui encore, le disque n’est pas rayé. «J’ai grandi sans père et c’est terrible. Le vide que je ressens dans ma vie, rien ni personne ne peut le combler», enchaîne-t-elle d’une voix fluette. De bonnes volontés, sensibles à son sort, avaient mis en place un comité pour l’aider dans les recherches. Malheureusement, elles seront infructueuses. Aujourd’hui, la jeune femme apprend, seule, à exorciser ses démons. Derrière un sourire affable, Alimatou cache une douleur sournoise. «Même s’il est vrai que j’ai toujours été couvée par ma mère, j’ai toujours souffert de l’absence de mon père. Aujourd’hui que l’unique espoir que j’avais n’est plus de ce monde, comment vais-je faire pour retrouver une trace de mon père ?» s’interroge-t-elle, la larme à l’œil. Alimatou n’attend plus rien de la vie. De sa vie. Tout au plus prie-t-elle pour trouver une piste qui la mènera à son géniteur afin qu’elle puisse avoir cette identité qui lui fait tant défaut.
Le témoignage d’Alimatou pourrait choquer dans un pays comme le Sénégal. Et pourtant, sa confession en cache de plus douloureuses.  Souvent occulté sous nos tropiques, le sentiment d’être «seul au monde» est une réalité très palpable au Sénégal. Un ressenti douloureux qui s’insinue très profondément jusqu’aux racines de l’existence humaine. Vivre sans papa n’est pas une chose évidente et peu de «victimes» en sortent indemnes. Tout au long de son existence, l’enfant «rejeté» traîne un profond traumatisme et arrive dans peu de cas, à faire la paix avec lui-même et avec son entourage. D’ailleurs, les faire parler relève de la gageure. Et lorsqu’on y parvient enfin, c’est un flot de décharge émotionnelle qui ne cesse de se déverser. Une boîte à Pandore qu’on ne peut refermer sans laisser des conséquences. Parfois terribles.

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«C’est suite à une dispute avec une voisine que j’ai appris que je n’avais pas de père»
Moussou Camara a 15 ans et semble en avoir plus. Elève en classe de 4e, la jeune ado aurait donné sa vie, il y a de cela 5 ans, pour connaître son père. Mais aujourd’hui, reniée par tous, elle s’est résolue à y mettre une croix, après avoir été rongée par la culpabilité d’être née. Moussou est le fruit d’une relation extraconjugale entre sa mère et un homme d’origine étrangère, chez qui elle servait comme femme de ménage. Engrossée par son patron, sa mère sera mise à la porte après que ce dernier a refusé d’assumer ses responsabilités, avant de quitter le pays. Moussou avait 3 mois dans le ventre de sa mère. «C’est à la suite d’une dispute avec une fille de mon âge dans le quartier que j’ai découvert que je n’avais pas de père. Cette dernière m’a révélé au cours de notre bagarre que ma maman qui travaillait comme femme de ménage à Dakar, a été engrossée par un inconnu», hoquète Moussou Camara. Choquée, Moussou encaisse le coup. Mais, pour cette jeune fille de 15 ans élevée par son oncle depuis ses 2 ans, ces révélations furent un déclic. «Les questions ont commencé à se bousculer dans ma tête. Cela m’avait toujours intrigué que mon grand-père maternel ne veuille pas de moi. A chaque fois que j’y allais pour voir ma grand-mère, il me mettait automatiquement dehors. C’est ainsi que durant les grandes vacances de cette même année que j’ai passées avec ma mère, à Dakar, j’ai insisté pour qu’elle me révèle la vérité.» De ce tête-à-tête, Moussou apprendra toute la vérité sur son histoire. Sa maman, engrossée et abandonnée par un inconnu, a donné naissance à une fille illégitime, sans père. «Ma maman a traversé des moments pénibles. Car, après la trahison de son patron qui l’a enceintée, elle a aussi été interdite de mettre les pieds chez son père. Abandonnée à elle-même, elle a été contrainte de rester à Dakar. C’est au bout de 3 ans plus tard que son cousin est venu à son secours pour l’aider, récupérer l’enfant et l’amener chez lui. Ma mère m’a laissé à ses bons soins, mais je lui en veux beaucoup, car elle ne m’a jamais soutenue. Je me sens comme un fardeau à ses yeux, le vilain petit canard qui a gâché sa vie.» Rejetée et reniée par les siens, Moussou trouvera réconfort et appui dans la perche tendue par le chef de service de l’Action sociale à Mbour. «Il a été le seul à m’épauler et c’est grâce à lui que j’ai pu continuer mes études qui auraient été abrégées, faute d’acte de naissance. Grâce au service de l’Action sociale et au juge du tribunal, j’aurai mon extrait de naissance. Sans quoi, je ne pourrai faire le BFEM l’année prochaine. Mais avec ces derniers, nous avons convenu de ne mettre aucun nom à la case «papa ». Je n’en ai plus besoin», serine-t-elle comme pour prendre sa revanche sur la vie. 

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« Je ne me considère pas comme quelqu'un qui a un père »
Médoune Fall*, lui est encore traumatisé. Le potache qui a décroché l’année passée son baccalauréat, souffre toujours de ne pas connaître son père. Sa blessure reste béante et la pièce «papa» du puzzle manque toujours. «Je n’ai jamais connu mon père et je l’ai réalisé très tard. Mon oncle m’a toujours fait croire que mon père est décédé depuis mon enfance. Pour mieux me convaincre, il m’a révélé qu’à la suite du décès de mon père, ma mère a sombré dans la dépression. Il m’amenait souvent au cimetière pour me désigner la tombe de mon défunt papa. Je n’avais jamais douté de sa bonne foi.» Puis un jour, son oncle, lassé par les mensonges, se décide à lui avouer la vérité. «Il m’a dit que ma mère qui ne jouit pas de toutes ses facultés mentales avait été engrossée. Elle avait désigné un voisin, mais ce dernier avait catégoriquement refusé. N’empêche, ma famille m’a donné son prénom et curieusement, il me ressemblait beaucoup. D’ailleurs, on me confond souvent avec un de ses fils qui évolue dans le milieu sportif.» Bouleversé, Médoune s’adosse à sa foi, mais reste toujours désappointé quand il voit ses amis avec leur papa. «Mes oncles m’ont bien éduqué et me considèrent comme leur propre enfant, mais je sens toujours un vide. Je sais que mon vrai père est en train de regretter son attitude parce qu’il a des scrupules à me regarder ou à me parler. Cependant, même s’il reconnaît son erreur, je n’accepterai jamais d’accepter sa main tendue parce mon oncle n’a jamais voulu que j’aille vers lui.» Babacar fait face aux mêmes démons. Enfant naturel, le jeune homme porte un fardeau dont il ne peut plus se départir. Non seulement, il doit supporter le rejet de sa famille paternelle, mais il doit vivre avec le regard de ces personnes qui lui rappelle les conditions dans lesquelles il est venu au monde. « C'est à mes 12 ans que j'ai appris que je n'avais pas de père. Lorsque ma mère me l’a avoué, j’ai pensé qu’il était mort. Mais tel n'était pas le cas. Il avait tout simplement refusé la grossesse de ma mère.» Babacar pousse, escorté par les regards lourds de sous-entendus de son voisinage et de la réputation de traînée qui colle à sa mère. «Je ne la juge pas», philosophe Babacar. Si ce dernier semble avoir de la compassion pour sa mère, c'est parce qu'il ne connaît qu’elle. De son père, il ignore tout. Juste qu’il est originaire de Kaolack. «Après ma naissance, ma famille maternelle a entrepris des démarches pour rencontrer mon père et sa famille. Mais celle-ci a catégoriquement refusé tout contact. En toute sincérité, je ne me considère pas comme quelqu'un qui a un père. Il n'a jamais cherché à me connaître, de même que ses parents, car ils ne me reconnaissent pas comme un des leurs», s'indigne Babacar avec la mine serrée.


«Le   jour   où   j’ai   appris   que   je   porte le nom de ma mère»
Papy Dia* n’a pas non plus connu l’amour paternel. Devant son domicile, le jeune homme, assis seul, sur sa chaise, se shoote à la zik comme pour se libérer de la douleur qui l’anime depuis qu’il a découvert que sa mère lui a «menti» sur sa paternité. Depuis tout petit, sa mère lui fait croire que son père était en voyage et qu’elle n’avait plus de ses nouvelles. Une version à laquelle, Papy s’est toujours accroché jusqu’au jour où la vérité a éclaté lors d’une dispute entre sa mère et une voisine. «Leur échange était d’une telle virulence et pour la blesser, la voisine lui a dit qu’elle n’avait qu’à aller chercher le père de son enfant.» Les mots tombent à l’oreille du gamin qui ne tient plus sur ses jambes flageolantes. «Si la terre avait pu s’ouvrir pour m’engloutir, je n’aurais pas demandé mieux. Je ne voulais plus que mourir. J’avais l’impression que le ciel m’était tombé dessus», pleure Papy Dia. Déprimé, il se calme quelques secondes avant de reprendre le sourire. Les larmes aux yeux, il s’essuie avec un mouchoir à jeter avant de poursuivre : «Déçu, le cœur en miettes, j’ai abandonné le domicile familial pour me réfugier chez un ami.» Son soutien sera décisif. Quelques semaines plus tard, Papy retourne auprès des siens et exige des explications à sa mère. «Elle a éclaté en sanglots et ne put émettre un son. C’est par ma grand-mère que j’ai pu connaître la vérité. Elle m’a révélé que mon père était un militaire établi à la base militaire de Diakhao (Thiès). Ce dernier était en service à Thiès et a noué une relation amoureuse avec ma mère. Une grossesse non désirée a été constatée au moment où le militaire était parti en mission en Casamance. Ma mère est retournée pour lui faire part de la situation, mais il était déjà parti. Elle ne parvenait plus à le joindre au téléphone et avait perdu toute trace de lui. A ma naissance, elle m’a donné le nom de mon grand-père décédé trois mois avant», souffle-t-il. Aujourd’hui, Papy a surmonté cette situation qui, selon lui, est de la responsabilité de son père. «Je pardonne à ma mère. Elle m’a   mis   au   monde et éduqué, contrairement à mon père qui m’a abandonné. Il n’aura jamais mon pardon.» Une promesse ferme faite à l’absent.  
*Les noms ont été changés


ABDOU MBODJ, AMADOU SAMOURA, ABDOULAYE GADIAGA SARR, FALILOU MBALLO & MARIAMA GUEYE 

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Publié par

Namory BARRY

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