Enquête sur l'univers compliqué et très compétitif des grandes écoles françaises

jeudi 14 janvier 2021 • 709 lectures • 1 commentaires

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Enquête sur l\'univers compliqué et très compétitif des grandes écoles françaises

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Entre esprit de compétition et course à la réussite, la pression subie par les étudiants en classes préparatoires (prépa) peut conduire à l’abandon. Pis, au suicide

Dix jours après sa disparition, Diary Sow, 20 ans, n’a toujours pas donné signe de vie (voir par ailleurs). Brillante, sacrée deux fois meilleure élève du Sénégal, elle est en deuxième année prépa au lycée Louis-le-Grand à Paris. Sa disparition depuis le 4 janvier dernier suscite l’inquiétude de tout le Sénégal, qui se tient constamment informé de l’évolution des recherches. Pourtant, depuis quelques jours, l’enquête s’oriente vers un départ volontaire. La jeune crack aurait-elle eu du mal à supporter la pression des études ? Enjeux des concours à venir, charge de travail et rythme d’évaluation intense, les classes préparatoires sont connues pour produire un fort taux de stress chez les étudiants, dont les limites psychologiques sont sans cesse testées. Un schéma auquel s’ajoutent souvent la pression et les attentes familiales.

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Mama Cissokho, 20 ans, élève en deuxième année prépa Mpsi (Mathématiques/physique/science de l’ingénieur), a fréquenté Diary l’année dernière, alors qu’elle partageait la même résidence universitaire à Paris, en France. De la meilleure élève du Sénégal, elle témoigne d’un caractère sérieux, ponctuel et passionné. «Elle aime ce qu’elle fait et sait ce qu’elle fait», dit-elle sans une once d’hésitation. Pour Mama, c’est donc impensable que Diary ait pu succomber à la pression, même si elle ne bannit pas cette possibilité. Elle-même a été victime de burn-out lors sa première année en classe préparatoire. Quand elle s’envole pour la France après 16 années de vie au Sénégal, l’étudiante s’attend à un parcours tranquille, couronné de succès. Comme au lycée. Un optimisme qui a failli lui coûter son ambition d’excellence. «Mon premier contact avec la prépa, j’ai eu un choc. Je ne faisais pas de grands efforts au lycée pour avoir d’excellentes notes, alors qu’en prépa, je travaillais durement pour des notes assez moyennes», commence-t-elle. En prépa, le rythme n’est pas le même que la normale. La charge de travail est d’environ 60 heures par semaine. A la masse de cours et de devoirs à rendre, s’ajoutent les évaluations, le travail personnel et les notations très rugueuses. Un rythme qui produit inévitablement du stress et auquel il faut vite s’adapter au risque de décrocher. Pour la voisine de Diary, la pression se matérialise sous la forme d’une première note très moyenne.

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«J’ai eu un 7 en math, je voulais me suicider»


Mama arrive en prépa, s’enorgueillissant de ses notes de lycée proches de 20. Elle prend contact avec la réalité des prépas lorsque son premier devoir de math lui revient avec une moyenne de 13. Malgré toute sa bonne volonté, l’étudiante ne parviendra pas à aller au delà de 15. Une contre-performance qui la plonge dans des moments de déprime intense durant lesquels se pose sans cesse la question de l’abandon. «Plusieurs fois, il m’est arrivé de vouloir lâcher l’affaire», dit-elle. Grâce à sa famille, établie en France, et à son autodétermination, l’étudiante parviendra à se forger un mental de fer, en décidant de ne plus se focaliser sur ses notes. Selon les conseils d’un directeur de la vie étudiante dans une prépa, les mauvaises notes sont souvent inévitables en première année. Pour les étudiants, ce conseil équivaut à faire le deuil de leur image de génie. Ce qui n’est pas facile pour des gens habitués à l’excellence. Mama : «J’ai compris avec douleur que le truc, c’était d’oublier les notes. De savoir que l’excellence, ce n’est plus les notes, mais ce que tu apprends.» Plusieurs de ses camarades ont abandonné en cours de route et pour l’étudiante sénégalaise, c’est une fierté de plus d’avoir tenu. Cette année, elle finit la prépa pour intégrer une école d’ingénieur en astrophysique. Le pire est passé pour elle.


La pression a failli être fatale à Marième*. Lauréate du concours général en sciences physiques en 2014, la jeune femme obtient une bourse d’excellence pour aller étudier en France. Grâce aux conseils de ses professeurs et d’un oncle ingénieur, elle opte pour une prépa en physique chimie et sciences de l’ingénierie dans un des meilleurs lycées dans le nord de l’Hexagone. Contrairement à Mama, la première année se passe bien pour Marième, la plupart de son programme reprend les grandes lignes de celui du lycée. L’écueil survient la seconde année, plus difficile et plus dense. Son classement chute dès le premier semestre et elle se retrouve très vite avec une note désastreuse de 7 en devoir de math. Le drame pour celle qui n’avait plus quitté le tableau d’honneur depuis le primaire. Elle se rappelle : «J’étais en dépression, je ne voulais plus parler à personne. Limite, je voulais mourir, c’est vraiment ce qui m’est arrivé. Je voulais juste me suicider, c’était atroce. Heureusement, je me suis accrochée à la prière, sans quoi c’aurait été une autre histoire». L’étudiante n’a jamais pu parler de cette épreuve à sa famille. A l’époque, ces derniers sont plus obnubilés par leurs sollicitations financières que par la vie de leur enfant, loin de son milieu naturel et dans un cadre très compétitif. «C’est comme si on m’avait mis au monde juste pour aider et donner des sous», ajoute-t-elle. A 24 ans, Marième est devenue ingénieure après 2 années en prépa et une année en école. Ces années de dures compétitions lui ont coûté beaucoup de son assurance et pour elle, il faut voir de ce côté pour Diary, dans le cas où cette affaire connaîtrait un épilogue heureux. «Elle a pu se retrouver désarmée durant cette deuxième année, se retrouver confrontée à son titre de meilleure élève du Sénégal devant des gens meilleurs qu’elle. Et ça n’aide qu’on continue à lui coller cette étiquette. Toute cette pression peut contribuer à lui faire perdre confiance».


«Mettre cette étiquette de génie à la poubelle»


S’il y a un conseil qu’Alexis Sarr voudrait laisser à ceux tentés par les prépas, c’est bien de rester humble. Ingénieur dans un grand groupe américain à Paris après 2 ans de prépa en math physique et une année d’ingéniorat, le jeune homme a aussi bénéficié d’une bourse d’excellence de l’Etat du Sénégal, après un bac en 2013. Il parle avec humilité de sa «petite prépa» et de sa classe solidaire où la compétition était saine. Alexis n’aime pas trop le terme de génie, «trop relatif, lorsqu’on est en concurrence avec les meilleurs élèves de France». «Il faut être humble et terre-à-terre, mettre cette étiquette de génie à la poubelle. C’est l’état d’esprit que j’avais quand je faisais ma prépa», conseille-t-il. Alexis est au courant de la croyance populaire chez les étudiants qui débarquent fraîchement et qui pensent que le programme français est plus facile à apprivoiser. Une fausse impression qui peut mener beaucoup d’entre eux à baisser la garde. «Les études en France, c’est une autre réalité et on rencontre des gens qui sont très bons dans ce qu’ils font. Pour être meilleur qu’eux, il faut un travail acharné. Il n’y a pas de secret. Si on pense que c’est parce qu’on est un génie qu’on n’a pas besoin de bosser, le jour des résultats risque d’être difficile», conclut-il.


En prépa, tout est une question d’organisation et la base est un travail intensif et régulier. La première année correspond à de la préparation. La seconde est faite de concours et classement, et est définie comme une année fatidique pour ces étudiants sénégalais. Cette dernière année est pour Marième, celle où beaucoup d’étudiants se cassent les dents. Pour une simple raison : «Il faut développer une méthode de travail dès la première année, c’est la clé du succès. Les Français la développent assez tôt parce qu’ils sont en galère dès la première année. Or, les Sénégalais ont tendance à dormir sur leurs lauriers et donc ne commencent à développer cette méthode que vers la deuxième année». Une impréparation qui ne pardonne pas dans un programme avec un fort niveau de difficultés. Outre les abandons en cours de route, ces étudiants sont aussi exposés au suicide. En 2019, un étudiant originaire de Taïwan et en prépa à Paris a été retrouvé pendu. L’année d’avant, une autre jeune fille s’est donné la mort en seconde année à cause d’une note très moyenne.


AICHA FALL


*Le nom a été changé

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Publié par

Namory BARRY

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