Financement des partis politiques : Etat-Pastef, les dessous de la guerre

lundi 4 janvier 2021 • 1028 lectures • 1 commentaires

Politique 3 ans Taille

Financement des partis politiques : Etat-Pastef, les dessous de la guerre

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En réaction à la levée de fonds organisée, samedi dernier, par Pastef/ les patriotes qui annonce avoir déjà collecté 125 millions F Cfa, le ministre de l’Intérieur, Antoine Felix Abdoulaye Diome, menace de dissoudre le parti que dirige l’opposant Ousmane Sonko, en prenant prétexte sur la  loi n°81-17 du 6 mai 1981, relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989. Mais, les raisons seraient bien plus profondes que cela. 

LES FAITS - Le débat est vieux de plusieurs années. Au Sénégal, le financement des partis politiques a toujours été entouré d’une nébuleuse. A l’absence de réglementation stricte voire obsolète, chaque parti se démène comme il peut pour trouver les moyens de financer ses activités. Pastef/les patriotes de Ousmane Sonko a opté pour une levée de fonds. Une innovation dans le financement des partis politiques dénommée ‘’le Nemmeeku Tour’’. Sous la houlette de leur leader, les patriotes ont fait un «appel public et transparent» aux contributions volontaires de compatriotes établis au Sénégal et à l’étranger. «La première édition du Nemmeeku Tour, lancée hier, 02 janvier 2021, a eu un succès retentissant, surpassant même nos attentes. Elle a permis, en seulement quelques heures, de lever 125 millions de francs CFA en donations effectives et plus de 81 autres de promesses de donations», a même révélé le Pastef, hier soir, via un communiqué de presse. En procédant ainsi, Ousmane Sonko, soutient-il, dans le même document, veut se «conformer à la législation sur les partis politiques, en restant autonome, indépendant de tous lobbys et autres sources de financements occultes, nationaux ou étrangers, afin de garder la pureté de la ligne patriotique et toute notre liberté d'action et de décision gouvernementale, une fois au pouvoir.» Dans le lot des financiers, Pastef/les patriotes évoque des partenaires marketing, en appelant ses militants et sympathisants à se mobiliser pour la prochaine campagne. 

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Mais, Ousmane Sonko ne s’attendait sûrement pas à ce qu’un invité-surprise se joigne à son Nemmeeku Tour. Surtout pas du côté du pouvoir de Macky Sall. Le ministre de l'Intérieur  et de la sécurité publique s’est signalé, non pour contribuer, mais pour mettre en garde Ousmane Sonko et ses affidés. Dans la nuit du samedi, Antoine Felix Diome a signé un communiqué, largement repris sur les réseaux sociaux, pour évoquer la campagne internationale de levée de fonds initiée par le parti Pastef en vue de financer ses activités. «En vertu de l’article 3 de la loi n°81-17 du 6 mai 1981, relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989, les partis politiques ne peuvent bénéficier d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs de leurs adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion des manifestations. Par conséquent, tout parti politique qui reçoit des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal, s’expose à la dissolution, conformément à l’article 4 alinéa 2 de la loi de 1981 susmentionnée», a fait savoir le ministre de l’Intérieur. Un communiqué-polémique qui a déchainé les passions les plus folles, motivé plusieurs réactions, jusque dans le monde du droit où Antoine Félix Abdoulaye Diome évolue. 

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La note secrète, le financement et le renversement d’un gouvernement


LES CRAINTES DE l’ETAT - Au delà du communiqué du ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique, cette affaire de levée de fonds du Pastef est prise très au sérieux en haut lieu. L’Etat nourrit de réelles craintes quant à la provenance de cet argent, mais surtout sa finalité. D’après des informations de L’Observateur, au plus haut sommet de l’Etat, l’on fait même un lien entre ce financement et des organisations terroristes. «Au delà du risque de voir nos partis politiques se transformer en instruments entre les mains de l’Étranger pour déstabiliser le pays, il y a la grande question du terrorisme. Avec une collecte de fonds à l’Étranger, il est impossible de garantir la traçabilité et l’origine de l’argent, même si le donateur a une carte d'identité sénégalaise», lit-on dans une note secrète transmise par un proche du Président. L’Etat fonde ses convictions surtout sur le fait qu’avec l’affaire Mercalex, Ousmane Sonko n’aurait plus assez de sources de revenus pour financer son parti et qu’il lui fallait trouver une alternative. «L’Etat est convaincu que Pastef, un parti dont le top management est principalement composé d’inspecteurs des impôts, se finançait par le foncier. En bloquant le business de Sonko dans l’affaire Mercalex, l’Etat a tari la source du financement, d’où ce recours à cette collecte de fonds. On ne peut permettre à un parti politique ce qui n’est pas permis à l’Etat du Sénégal. Il y a une traçabilité, si l’Etat fait entrer de l’argent dans le pays, a fortiori un parti politique. C’est surtout pour des raisons de sécurité et de souveraineté que cette loi interdit ces genres de financement», ajoute la source. L’autre alibi de l’Etat est à chercher, selon toujours la note, dans ce qui s’est passé dans un pays d’Afrique ou des forces obscures ont participé au financement de partis politiques. «L’Etat prend très au sérieux cette menace. Au Congo Brazzaville, une compagnie pétrolière évincée a financé une rébellion qui a renversé un gouvernement démocratiquement élu, alors que de l’autre côté du fleuve à Kinshasa, l’instabilité permanente résulte du fait que chaque faction politique ou armée est financé par des parrains extérieurs qui les instrumentalisent pour défendre des enjeux miniers. Alors que notre pays va bientôt commencer l’exploitation du pétrole et tous les enjeux qui en découlent, l’Etat ne doit pas laisser Pastef jouer avec le feu.» Cet argument saurait-il justifier le communiqué du ministre de l’Intérieur ? Ce lien entre le financement des partis politiques et les organisations terroristes tient-il ?


«Toutes les informations nécessaires n’ont pas encore été regroupées»


REQUETE JUDICIAIRE - Enseignant chercheur en droit et science politique à l’Université de Bambey, Dr Serigne Ahmadou Gaye se veut clair. Selon le juriste, le ministre de l’Intérieur est allé très vite en besogne. «Avant d’interdire quoi que ce soit, il faut faire une traçabilité pour savoir si les fonds sont licites ou pas. Ce qu’il ne peut pas faire. Il doit recourir à une requête judiciaire pour retracer tout cela. Il y a des services compétents pour ça. Avec toutes les informations que l’Etat peut avoir en sa possession, il y a des procédures à respecter. Avec ce délai si court, l’Etat ne peut pas avoir eu suffisamment d’informations ou d’éléments qui justifient ce communiqué ou qui rendent coupable Ousmane Sonko. C’est impossible. La note a été très émotive. Ils n’ont pas pris le temps nécessaire pour mettre en place toute la procédure nécessaire pour pouvoir affirmer ou confirmer si l’argent est licite ou pas Même, juridiquement, on ne peut pas dire pour l’instant que Antoine Felix Diome est dans son droit, parce que toutes les informations nécessaires n’ont pas encore été regroupées pour dire qu’untel est en faute», recadre le juriste. Avec cette levée de fonds, Dr Gaye assure que Pastef ne commet aucun délit. «Il n’y a rien de grave dans ce que fait Pastef. La loi de 1981 dégage le cadre légal et institutionnel des partis politiques : création, fonctionnement, dissolution en fixant un certain nombre de conditions à remplir pour avoir des financements etc. Mais, si ce sont les militants, les sympathisants qui cotisent pour leur parti politique, pour son fonctionnement, qu’il soit un Sénégalais resté au pays ou un Sénégalais établi à l’étranger, il a bien le droit de contribuer au financement de son parti. Maintenant, la licéité ou l’illicéité de l’origine des fonds se définit à la suite d’une enquête. Ce n’est pas une chose que le ministre de l’Intérieur peut savoir comme ça. Le financement extérieur en soit n’est pas interdit. Ce qui est interdit, c’est le financement occulte, illicite, mais là, c’est un appel de levée de fonds pour tous les membres, partisans et sympathisants de ce parti.» 


«Des discussions pour organiser le financement des partis politiques»


INTERPRETATION DE LA LOI - Dr Gaye pointe aussi du doigt l’obsolescence de la loi, qui constitue, selon lui, un gros problème dans ce débat. «La loi est obsolète, insiste le juriste. Si on l’appliquait à la lettre, il ne resterait que deux partis dans le pays : le Parti socialiste (Ps) et le Parti démocratique sénégalais (Pds). Les instances de ses partis ne se réunissent pas régulièrement, ne font pas de bilan financier…Il n’y a que le Ps et le Pds qui sont assez structurés pour respecter ses conditions avec les partis classiques peut-être. Il faut une régularisation des partis politiques par le financement. Certaines dispositions de la loi sont obsolètes et méritent d’être modifiées. On parle de fonds provenant de l’étranger, mais si c’est un Sénégalais avec la nationalité, qui a une carte d’électeur, qui milite dans un parti et qui cotise, où est le problème ? Le Président qui est au pouvoir a reçu des financements de Sénégalais vivant à l’étranger. Depuis longtemps, des discussions sont en train d’être menées pour organiser le financement des partis politiques, il y a beaucoup de propositions qui demeurent stériles parce que les gens ne sont même pas d’accord sur la notion de financement.» Ce qu’il faut éviter pour le Dr Gaye, c’est de faire une mauvaise interprétation de la loi. «C’est une note qui intimide, à la limite qui agresse l’opposition. Aucun parti n’est à l’abri. La loi existe depuis 1981 et n’a jamais été évoquée dans les échéances précédentes. La loi n’est pas un instrument, c’est un cadrage et quand on fait une interprétation, elle doit se faire en ordre de connaissances et pas de façon émotive ou sensationnelle. Il faut que le ministre prenne du recul et mette en branle tous les services compétents pour vérifier la licéité ou l’illicéité des fonds.» S’il le dit...


BIRAME SOULEYE DIOP, ADMINISTRATEUR GENERAL DE PASTEF/LES PATRIOTES : «Pastef va poursuivre la levée de fonds»


«Aujourd’hui, pour Pastef, ce communiqué du ministre de l’Intérieur n’est pas un sujet de discussion. Le parti a statué sur la question et ce que dit la loi est clair et précis. Maintenant, si le ministre est capable de sortir une autre interprétation de la loi, comme le fait son patron Macky Sall quand ça l’arrange, cela ne nous concerne pas. Les partis politiques légalement constitués peuvent recevoir des dons, legs et cotisations des membres et sympathisants nationaux. Cependant, si un Sénégalais de la diaspora n’est pas un national, que Macky Sall et Antoine Diome nous sortent une nouvelle interprétation de la notion de national. Macky Sall ne peut pas avoir bénéficié des financements de Arouna Dia, un Sénégalais qui vivait hors du Sénégal, et vouloir remettre cela en cause. Arouna Dia était son principal bailleur, donc s’il faut dissoudre aujourd’hui un parti pour cela, c’est par l’Apr qu’il faut commencer. L’affaire Lamine Diack, on nous dit que ce sont des financements russes pour faire tomber Abdoulaye Wade. Et c’est Macky Sall qui a gagné le Président Wade, il a donc bénéficié directement ou indirectement de ces fonds. Pour sa caution à l’élection présidentielle, Macky Sall a dit publiquement qu’elle a été donnée par la diaspora. En 2009, Macky Sall a écrit une lettre au défunt Président du Gabon, Oumar Bongo, pour lui demander un appui à tout point de vue. L’Apr devrait donc être dissoute plusieurs fois. Qu’on ne nous divertisse pas. La diaspora est composée de Sénégalais. Nous avons lancé une levée de fonds parce que Macky Sall donne à des leaders de parti plus de 30 millions de FCfa par mois. Et ces gens travaillent pour lui. D’autres, il leur a donné des budgets à plusieurs milliards. La loi sur les partis politiques permet, au regard de l’institutionnalisation de l’opposition que les conclusions sur la Commission de réforme des institutions, leur financement. Pis, Macky Sall ne respecte pas l’accord du dialogue politique sur le financement des partis politiques. Ce qu’il cherche, c’est de dissoudre l’opposition au Sénégal. Mais que Macky Sall comprenne que Pastef n’est pas le titre foncier de son père ni de sa mère. Pastef appartient à tous les Sénégalais. Nous allons donc continuer la campagne de collecte pour la bonne et simple raison que rien ne nous l’interdit. Aujourd’hui, nous sommes déçus de la nullardise du ministre Antoine Diome, un magistrat qui connaît la loi. C’est parce qu’il est dans une position politique qu’il sort un communiqué à 2 heures du matin. Cela prouve qu’il a reçu des instructions d’en haut pour tomber si bas. Mais Pastef continuera la levée de fonds parce que ce sont des Sénégalais strictement qui contribuent. Et le 31 janvier, nous allons déposer notre bilan comme on le fait chaque année. Le ministre de l’Intérieur aura la latitude de voir si ce sont des Sénégalais qui ont contribué ou non.»        


ABDOU MBOW, DEPUTE, PORTE-PAROLE ADJOINT DE L’APR : «L’Apr n’a jamais bénéficié des financements d’un étranger ou des étrangers vivant au Sénégal»


«Aujourd’hui, la question n’est pas si la loi rime ou pas avec l’évolution des partis politiques. Ce qu’il faut demander, c’est si la loi existe ou pas ? Et effectivement, la loi existe. Il y a aujourd’hui des lois qui ont été faites depuis l’indépendance et qui sont encore exercées. Parce que c’est la loi. Le ministre de l’Intérieur est dans son rôle de faire respecter la loi. Il a dit le droit et la loi existe. Donc, certaines personnes cherchent à nous entraîner dans un faux débat. La réalité, c’est que cette loi existe et l’Etat est obligé de la faire respecter. Et le ministère de l’Intérieur rappelle seulement ce que dit la loi. Il n’y a donc pas de problème. Le ministre de l’Intérieur a cité la loi en disant que des étrangers qui sont à l’étranger ou des étrangers qui vivent parmi nous. La loi n’a jamais visé des Sénégalais qui vivent à l’étranger et le ministère de l’Intérieur non plus ne l’a pas dit. En plus, la loi n’interdit pas que des Sénégalais qui sont à l’étranger contribuent dans le financement d’un parti politique. La loi précise bien des étrangers et non des Sénégalais vivant à l’étranger. Donc, nous (Alliance pour la République) n’avons jamais bénéficié des financements d’un étranger ou des étrangers qui vivent au Sénégal. Nous avons toujours fonctionné légalement et nous continuons à fonctionner dans la légalité.»


DR ALIOU SOW, ANCIEN MINISTRE, PRESIDENT DU PARTI MPD LIGGEEY : «Les incohérences et les errements du communiqué du ministre»


«Aujourd’hui, nous avons au Sénégal beaucoup de textes qui sont dépassés et qu’il faut oser réformer. J’ai toujours provoqué ce débat et il se pose de manière malheureuse aujourd’hui. Le Sénégalais établi à l’étranger est électeur. Un quota de députés est attribué aux Sénégalais de l’extérieur. Un émigré a le droit d’être membre d’un parti politique et même chef de parti. Un Sénégalais établi à l’étranger est éligible à l’essentiel des fonctions au Sénégal. Beaucoup de ces droits n’étaient pas accordés aux émigrés sénégalais en 1981 et 1989, respectivement années d’adoption et de modification de la Loi n° 81-17, du 06 mai 1981, relative aux partis politiques, invoquée pour menacer le parti Pastef de dissolution. L’incohérence se trouve, en réalité, dans l’inadéquation entre beaucoup de nos textes et l’évolution de certaines de nos réformes et de multiples droits acquis par des catégories de Sénégalais qui étaient injustement discriminées. Pourquoi la participation des Sénégalais de l’extérieur au financement des partis politiques dont ils sont membres doit-elle être considérée comme une collecte de subsides en provenance de l’étranger ? L’esprit de la loi est d’empêcher les financements occultes par des forces étrangères. L’émigré n’est pas une force occulte, encore moins son complice. 


Le caractère partisan de la menace se trouve dans la non-évocation de la loi contre des partis de la coalition au pouvoir dont plusieurs ont été et restent toujours financés avec des subsides provenant de l’étranger. Combien de fois avons-nous entendu d’illustres leaders politiques remercier publiquement des compatriotes établis à l’étranger pour leurs contributions financières et matérielles au fonctionnement de leurs partis ou à la prise en charge d’une partie de leurs dépenses de campagnes électorales ? Les preuves sonores sont encore disponibles. Pourtant, cette loi n’a jamais été évoquée contre ces gens. Il y a beaucoup d’incohérences et d’incongruités, autant d’errements et d’erreurs pour donner l’impression qu’on peut utiliser les textes contre des forces concurrentes ou adverses. Ce qui ne participe pas à apaiser la démocratie et le champ politique sénégalais. Toutefois, le communiqué est fondé en Droit, mais les dispositions sont dépassées et en déphases avec l’évolution de la politique sénégalaise. Si on doit appliquer cette loi, il faut l’appliquer sur tout le monde. Et non prendre prétexte d’une approche innovante de Pastef pour faire respecter la loi. Il faut aller dans le sens de créer un Conseil supérieur national des partis politiques où l’opposition et la mouvance présidentielle devront être représentées et qu’il soit dirigé par la société civile.»


CODOU BADIANE, FALLOU FAYE 

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Publié par

Namory BARRY

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