L'UMS, le choix sélectif des combats

jeudi 1 avril 2021 • 1340 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

L\'UMS, le choix sélectif des combats

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L’Ums ne badine pas sur des critiques concernant les magistrats. Les contre-attaques et représailles sont quasi automatiques. Sauf quand Ousmane Sonko a ouvertement tiré sur deux juges d’instruction et un procureur. Comme si l’Ums choisissait les combats qu’elle mène. 

L’Union des magistrats sénégalais (Ums), c’est des combats. Des coups bien réfléchis administrés à quiconque s’évertue à attaquer la justice… ou un magistrat. Le Mouvement M2D l’a appris à ses dépens. Coupable, aux yeux des membres de l’Ums, d’avoir tenu des propos menaçants à l’endroit du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Diourbel, parce qu’il aurait refusé «de libérer les 22 otages politiques, faisant valoir des états d’âme relatifs au fait que les jeunes auraient saccagé le tribunal. Le M2D ne fera aucun compromis sur la libération des jeunes arbitrairement détenus.» A travers un communiqué, l’Ums a qualifié cette sortie de «menaces inadmissibles», avant de réaffirmer sa solidarité au juge. La position est noble. Seulement, elle interpelle et pousse à se demander si l’Union des magistrats choisit ses combats. Dans l’affaire Sweet Beauté, le député Ousmane Sonko, accusé de viols répétés et menaces de mort sur la masseuse de 20 ans Adji Sarr, a descendu en flamme, lors d’une conférence de presse, Serigne Bassirou Guèye, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar, Samba Sall, Doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Dakar et Mamadou Seck, juge d’instruction du 8e Cabinet du tribunal de grande instance de Dakar. Ils ont même été comparés à un triangle des Bermudes judiciaires. Une attaque frontale et violente qui a laissé de marbre l’Union des magistrats. Un magistrat, sous le couvert de l’anonymat, dénonce : «C’est la triste réalité. Et ça s’est vérifié lors d’une des nombreuses sorties de Ousmane Sonko qui a attaqué nommément trois confrères, en citant même leurs noms. Évidemment que tout le monde attendait une sortie de l’Ums, mais rien n’a été fait et c’est gênant. Le magistrat qui souffre le plus de ces combats collectifs est sans doute le procureur de la République de Dakar (Serigne Bassirou Guèye : Ndlr). Sa fonction l’expose à des critiques, mais l’Ums a le devoir de le défendre, comme avec les autres magistrats, d’autant plus qu’elle sait très bien que la plupart des critiques ou même injures sont infondées.» L’Ums s’est toujours érigée en bouclier des magistrats.

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Les virulentes représailles
En mars 2018, elle n’avait pas hésité à tirer sur le député Moustapha Cissé Lô, alors vice-président de l’Assemblée nationale. Le parlementaire s’était violemment attaqué aux magistrats, leur reprochant de manquer d’impartialité et de «faire n’importe quoi». «De tels propos, venant d’une personne incarnant des institutions aussi respectables que l’Assemblée  nationale  et  le  Parlement  de  la  Cedeao, constituent, outre leur caractère  outrageant, des dérapages inadmissibles et un  manquement  grave aux principes qui régissent les rapports entre les institutions de la République», avait dénoncé l’Union des magistrats. Le 31 mars 2018, suite au délibéré de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar, impliquant Khalifa Sall, les magistrats soldaient leurs comptes avec Barthélémy Dias qui avait tenu, selon l’Ums, «des propos insultants à l’endroit des magistrats en charge du dossier». Elle dénonçait «une atteinte intolérable à l’honorabilité des magistrats concernés et au delà, à la dignité de la Justice tout entière.» Après les limogeages de Moustapha Ka et Samba Ndiaye Seck, respectivement, Directeur des droits humains et Directeur du cabinet du Secrétaire d'État à la promotion des droits humains et de la Bonne Gouvernance suite aux réponses données devant le Comité des droits de l'homme, l’Ums était montée au créneau pour recadrer l'autorité politique. «L'Ums déplore la brutalité et la médiatisation de cette révocation qui ont jeté en pâture deux valeureux magistrats dont la bonne foi n'est pas discutée. Par ailleurs, l'Ums condamne le non-respect du parallélisme des formes dans le limogeage du Directeur des droits humains, nommé par décret n°2017-2228 du 06 décembre 2017, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature, qui ne peut ainsi être démis que par un acte de même nature», lisait-on dans un communiqué rendu public le 23 octobre 2019. Même Me Ayé Boun Malick Diop, greffier et secrétaire du Sytjust, n’a pas échappé aux foudres des magistrats, quand il a osé faire une sortie dans la presse, après une demande d’explication qui lui a été servie par le Président du Tribunal de Grande Instance de Fatick pour abandon de poste, en accusant ce dernier et le Premier Président de la Cour d'appel de Kaolack d'être instrumentalisés par le ministère de la Justice. Un communiqué du 19 juillet 2020 avait condamné fermement «ces attaques dirigées contre des chefs de service qui n'ont fait que se conformer à leurs obligations professionnelles.» Les cas sont légion. Cependant, force est de constater que ces combats sont pour le moins sélectifs.

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L’Ums coupable ? Des magistrats, dont certains sont à la retraite, remontent le temps pour brandir d’autres dossiers accablants. «En regardant dans le passé, on sent carrément que l’Ums choisit ses combats. Parce qu’il y a eu des magistrats qui ont été laissés en rade par l’Union. C’est le cas de l’ancien président de chambre et ancien membre, ancien juge à la Cour pénale internationale, El Hadji Malick Sow, qui a été écarté. L’Ums n’a jamais porté son combat jusqu’à sa retraite. Il y a aussi Habibatou Diallo, ancienne présidente de chambre à la Cour Suprême. L’Ums a abandonné ces deux membres. Ces deux juges ont été laissés à leur sort par l’Union des magistrats sénégalais, alors qu’ils font partie des magistrats les plus compétents de leur génération», juge le magistrat. Il renchérit : «Il y a l’ancien procureur de Mbour Alioune Sarr qui avait été illégalement affecté, parce qu’il avait placé un responsable de l’Apr sous mandat de dépôt. Ça fait deux ans et il n’a pas eu le soutien de l’Ums.»


L’Ums mène des combats de principe
Cependant, l’idée de combats sélectifs est à bannir auprès de certains observateurs indépendants. Babacar Bâ, président du Forum du Justiciable, est de cette catégorie. «C’est seulement les causes défendues publiquement par l’Ums qu’on peut savoir. Si on avait tous les éléments, on pourrait apprécier leur combat. A mon niveau, je ne vois pas en quoi l’Ums mène un combat sélectif. L’Ums fait surtout des sorties par rapport à l’indépendance de la Justice et les réformes. Les lectures peuvent être différentes. Des personnes peuvent avoir cette lecture-là, mais je pense que l’Ums est là pour tous les magistrats», fait savoir Babacar Ba. Il poursuit : «En tout cas, depuis que j’ai eu à côtoyer l’Ums, à travers leurs panels, tous les combats qu’elle mène sont des combats qui peuvent renforcer l’État de droit et la question de l’indépendance de la Justice. Les réformes que l’Ums a eu à formuler, en termes de recommandations, surtout à travers leur colloque qu’elle avait organisé en 2017, elle a fait d’excellentes propositions. Pour dire vrai, je suis le plus critique, mais je n’ai pas le sentiment que l’Ums défend une catégorie de magistrats et laisse en rade les autres. Si j’avais fait le constat, je n’hésiterai pas à le dire. Mais très sincèrement, je ne vois pas une distinction entre ceux que l’Ums défend et ceux qu’elle met de côté. C’est ma lecture en toute objectivité». Birahim Seck, Coordinateur du Forum civil, a la même lecture concernant les combats de l’Ums. «Nous ne pouvons pas apprécier le travail de l’Ums par rapport à des individualités. Nous ne pouvons apprécier son travail que sur le combat de principe. C’est-à-dire sur le combat qu’elle mène sur la défense de l’indépendance de la Justice et les réformes. On se rend compte que depuis des années, l’Ums revendique l’indépendance de la Justice et c’est depuis sa création. En tout cas, nous ne pouvons apprécier le travail de l’Ums que sur le principe, mais pas sur les individualités», estime-t-il. L’un dans l’autre, l’affaire Sweet Beauté a secoué plusieurs corporations et la justice en a payé le plus lourd tribut.


SOULEYMANE TELIKO, PRÉSIDENT DE L’UMS : «Ce qu’on doit faire on le fait»


“Je n’accepte pas qu’on dise que l’Ums mène un combat sélectif. L’Ums a sa façon de fonctionner et ce ne sont pas des gens de l’extérieur qui doivent faire des affirmations gratuites. S’il y a quelque chose que vous voulez savoir sur l’Ums, il faut venir me trouver au bureau. J’ai l’impression que ce sont des gens qui vous ont envoyés pour que vous attaquiez l’Ums. Ou bien c’est vous-même qui voulez diviser les magistrats. En tant que juge, je ne m’intéresse pas au Synpics, donc vous ne devez pas vous intéresser au fonctionnement de l’Ums. Nous sommes des personnes responsables. Ce qu’on doit faire on le fait. Donc, les gens de l’extérieur peuvent ne pas comprendre. N’acceptez pas qu’on vous envoie pour attaquer l’Ums. Il faut éviter ça.”


MATAR NDIAYE, ANCIEN AVOCAT GENERAL A LA COUR SUPREME : «Si l'Ums répondait aux insultes et autres quolibets…»


«Si l'UMS répondait aux insultes et autres quolibets contre les magistrats, elle n'aurait rien à faire que cela. Ce sont surtout les politiques qui disent de tels propos. Mais c'est de bonne guerre. Ils sont toujours condamnés pour prévarication et autres délits de mœurs. Ils savent aussi que les peines qu'ils vont recevoir ne sont pas lourdes. Hélas, ils ne sont pas des modèles de propreté et de patriotisme. Je ne peux citer aucun homme politique digne de foi. Ils ne cherchent que des positions qui les rapprochent des deniers publics. Ils sont souvent sans épaisseur intellectuelle acceptable. Pour cela, je les méprise et je n'accorde aucun crédit à leurs injures aux magistrats.» 
«Il faut revenir à la réalité des faits : un juge a décerné un mandat de comparution à un homme politique qui ameute tel un chien qui a vu des hyènes. Je ne viendrais jamais sur la nature du crime présumé. Si retard il y a, il faut chercher du côté de celui qui a peur et pourquoi il a peur. Je ne discute jamais de l'indépendance des magistrats sénégalais. Je n'ai jamais cessé d'être indépendant. Il faut avoir foi en l'Unique pour être indépendant par rapport à tout. Les juges délibèrent à 7. Et vous continuez à parler d'indépendance. J'attends de voir un homme politique relaxé pour me convaincre de l'honnêteté de ces hommes qui pensent être sérieux.» 
«Je n'ai rien à dire de la diffamation en public de Sonko en l'endroit de certains collègues, nommément désignés. S'ils gardent le profil bas, c'est leur affaire. En résumé, je pense que la solution face aux insulteurs des magistrats, c'est leur propre responsabilité à agir en justice. En résumé, je demande à ce qu'on laisse le Président Téliko en paix, puisque c'est une valeur sûre pour l'avenir de notre magistrature. Nous avons des magistrats professionnels qui connaissent le métier. J'ai été au contact des jeunes magistrats toute ma carrière durant. Ils peuvent eux-mêmes attester de la véracité de mes propos. Veillons sur notre pays et gardons-nous d'allumer le feu.»


Aïda Coumba Diop

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Publié par

Namory BARRY

admin

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