Les confessions de "Ya Khandiou", ancienne actrice de Daaray Kocc

mardi 5 janvier 2021 • 6091 lectures • 1 commentaires

People 3 ans Taille

Les confessions de \

PUBLICITÉ

Membre fondateur de la mythique troupe «Daaray Kocc», avec laquelle Awa Diagne a interprété des rôles cultes. Le plus célèbre, «Khandiou», est encore frais dans les mémoires. “L’Obs” a retrouvé Awa Diagne pour replonger dans cette partie de sa vie, parler de son retrait de la scène, de sa reconversion, de l’évolution du cinéma…

Au début était «Diamonoy Tay»…

PUBLICITÉ


«Mes débuts dans le monde du théâtre se sont fait naturellement. J’ai commencé par intégrer la troupe «Diamonoy Tay» par le plus grand des hasards. J’avais une grande sœur, Fatim Diagne, qui faisait partie de la troupe de Daniel Sorano. Quand elle jouait sur scène, mes yeux pétillaient. C’est elle qui m’a inspirée et donné l’envie de faire du théâtre. J’avais également l’habitude d’écouter à la radio RTS, la troupe «Diamonoy Tay». Un jour, j’ai décidé d’aller à la RTS. J’y ai retrouvé Abdoulaye Seck. Je lui ai dit que je voulais faire du théâtre, il a insisté pour savoir si j’étais sûre de mon choix. Je l’ai convaincu et il a accepté. C’est d’ailleurs lui qui m’a appris les rouages du métier. A l’époque, on ne faisait pas de castings, encore moins des auditions. Outre El Hadj Abdoulaye Seck, il y avait Abou Kamara, Mass Seck, Lat Déguène dans la troupe. C’était en 1979. Par la suite, la troupe a volé en éclats à cause de quelques divergences internes. Je suis partie avec Moustapha Diop, Iboulaye Paris Gueye, Abdoulaye Ndoye, Mbayang Niasse, Ndeye Anta Sow. Ensuite Makhouradia Guèye nous a rejoints, ainsi que d’autres acteurs. Nous avons élargi la troupe et avons décidé de la nommer «Daaray Kocc».

PUBLICITÉ


«Khandiou, un DG peut en cacher un autre, Yadikone», ces pièces cultes


«A l’époque, c’était extrêmement difficile d’être comédienne. Nous n’étions pas bien vues. Malheureusement, les Sénégalais ne retiennent que le rôle que vous incarnez, pour vous coller une étiquette et vous juger. Il arrivait même que certains parents refusent l’union de leurs enfants avec une comédienne. Et pourtant, on participait à l’éducation des mœurs à travers nos rôles. C’était le cas dans des pièces cultes comme «Khandiou». Elle m’a beaucoup marquée. C’était une pièce qui traitait d’une amitié sincère comme on n’en voit plus. L’amitié de khandiou et Ndaté était unique en son genre. Il y a également mon rôle dans «Lapiss lapakh Bine bine». Moustapha y interprétait le rôle d’un handicapé dont j’étais éperdument amoureuse, seulement mes parents refusaient notre union. C’était en 1981. Dans cette pièce, nous avons essayé de montrer que nous sommes tous égaux. Les handicapés font partie intégrante de la société. «Yadikone» aussi m’a marquée. Dans cette pièce, nous étions des jeunes filles, des ménagères venues dans la capitale pour travailler et l’une d’entre nous est tombée enceinte du fils de sa patronne. Nous n’étions pas payées et nous le faisions par amour. A l’époque, il n’y avait qu’une seule télévision. C’est elle qui produisait et diffusait. Nous soumettions un devis à leur appréciation, dans lequel nos cachets étaient inclus. Une fois seulement que c’était validé, on commençait à enregistrer. Maintenant, c’est le contraire qui se passe, les groupes tournent d’abord et vendent le produit fini aux télévisions.»


Le dernier acte… Retrait de la scène


«Ma toute dernière apparition dans une pièce de théâtre remonte en 1991, dans «Un Dg peut en cacher un autre». Après quoi, j’ai décidé de rendre le tablier. C’était avant tout, par choix. «Daaray kocc», c’est une famille. D’ailleurs, nous sommes sept personnes à l’avoir mise sur pied. Nous étions soudés. Nous le sommes jusqu'à présent. Mais, je me suis retirée parce que je le voulais. Je me sentais un peu perdue. Et, j’ai pris l’initiative de prendre du recul, de peser le pour et le contre. C’est comme ça que j’ai décidé de me retirer pour de bon. Le théâtre m’a tout donné. Au delà de la notoriété, il m’a permis d’avoir beaucoup d’opportunités et ouvert des portes.»


Reconversion à la radio


«Tous les comédiens de la troupe avaient une profession. J’étais secrétaire. Et quand j’ai décroché, je suis retournée à mon métier. Par la suite, j’ai intégré la radio Sud Fm, par l’entremise d’une amie, Feue Reine Marie Faye. Elle m’avait proposé de poser ma voix sur une publicité et j’ai fini par être employée à la radio. Dans un premier temps, je faisais les avis et communiqués, puis de l’animation, avant de finir à la rédaction. J’ai été formée sur le tas. Sud Fm est pour moi une école, j’y suis restée pendant 6 ans.»


«L’Italie, le Luxembourg», ces points de chute


«Je n’avais aucune raison de partir à l’étranger. J’avais tous les avantages possibles ici. J’ai profité d’un congé pour me rendre en France. Par la suite, je suis allée en Italie pour rendre visite à mes nièces. Elles m’ont convaincue de rester là-bas. C’était mon destin. Au bout de 3 ans (en 2002), j’ai eu mes papiers, grâce à une loi qui avait été promulguée. C’est en 2006 que j’ai réussi à obtenir un travail. J’avais la chance de vivre avant, chez mon frère, qui subvenait à mes besoins. J’avais fait une formation d’aide infirmière. Et, j’ai pu obtenir un boulot dans une maison de retraite. Je venais en aide à de vieilles personnes qui ne pouvaient plus faire usage de leurs membres. C’est le même métier que je fais au Luxembourg où je vis depuis 2016. Avec cette crise, le pays n’a plus grand-chose à offrir.»


Les regrets… «Si j’étais restée au Sénégal»


«J’ai beaucoup de regrets. Mais c’était mon destin. En partant à l’extérieur, j’avais un visa d’une validité de 15 jours. C’est avec mon argent de poche que j’ai acheté mon billet. Toutes les personnes avec qui j’ai travaillé ont maintenant des postes de responsabilité. Si j’étais restée, ma situation aurait sans doute évolué. L’immigration est vraiment difficile. Ceux qui traversent l’Atlantique pour rallier l’Europe se font du mal pour rien. Car, en Europe, il n’y a plus de travail. Les rescapés qui réussissent à gagner l’Europe, pour la plupart, ont un traumatisme psychologique. Je ne conseille à personne de tenter cette aventure. A Paris, je vivais avec une amie. J’y ai passé une semaine. Et, après, j’ai vécu avec mon frère en Italie. Par la suite, j’ai vécu avec mon neveu. Je n’ai jamais passé la nuit dehors. Je n’ai jamais été dans un centre. Au Luxembourg, j’habite dans ma maison. C’est un pays où il fait très cher vivre. Mais je rends grâce à Dieu. Actuellement, je pense à prendre une retraite anticipée.»


Faux ongles, faux cils, Make-Up, cheveux naturels, «Trop d’artifices chez les actrices d’aujourd’hui»


«Je regarde quelques séries qui passent sur le petit écran, comme «Maîtresse d’un homme marié», «Gloire», «Choix», parce que j’ai des amis qui y tiennent des rôles. Il y en a beaucoup et certaines sont diffusées le même jour et pratiquement aux mêmes heures. Il est clair que les choses ont beaucoup évolué. Malheureusement pas seulement, dans le bon sens. Les mentalités ont aussi changé, de même que les accoutrements. On se rend compte qu’on mise énormément sur le paraître. Les filles mettent de faux cils, de faux ongles, font du make-up, portent des cheveux naturels, pour jouer des scènes où elles sont en train de faire la cuisine ou sont couchées dans un lit pour dormir. Ce n’est pas du tout naturel, tout est superficiel. De notre temps, lorsqu’on interprétait un rôle, on se donnait à fond. Le décor, les costumes, la tenue, tout y passait. Par exemple, s’il fallait jouer un rôle où on se couchait dans un lit pour dormir la nuit, on portait une robe de chambre et attachait un foulard, sans maquillage, sans bijoux. On prenait le soin de cacher certaines parties de notre corps.»


Oui à la révolution du cinéma, non à la banalisation de notre culture…


«Je peux comprendre que les générations ne sont pas les mêmes. Il y en a qui disent que nous sommes passées de mode. Je pense que ce n’est pas le cas. Un artiste ne «vieillit» jamais, nous sommes toujours à la page. Même si nous ne sommes pas sur un plateau en train de tourner, notre art nous sert dans d’autres milieux. Si vous faites la remarque, les anciens sont de plus en plus sollicités pour jouer dans les nouvelles productions. On a besoin de leur expérience. Moi-même j’ai reçu beaucoup de propositions. Toutefois, je préfère être en retrait pour le moment. Plus tard, je changerais peut-être d’avis. Ce qui est certain, c’est qu’il y a des rôles que je n’interpréterai jamais pour tout l’or du monde. Je prendrais mon temps pour bien étudier les scénarii. Un rôle, il ne faut pas le prendre pour le prendre. Il faut toujours penser à demain, surtout pour une femme qui est appelée à se marier et fonder un foyer. Les archives seront toujours là pour nous rappeler ce que nous avons fait par le passé. Avant, les spectateurs étaient pressés qu’on soit mardi pour investir leurs salons et regarder les pièces de théâtre. Non seulement, nous faisions passer des messages forts, mais on éveillait les consciences. Cela se fait toujours, mais c’est la manière qui ne sied pas. Le cinéma sénégalais a pris son envol et est en passe de devenir une industrie. Ce n’est pas plus mal car dans toute chose, l’évolution est importante. Cependant, il faudrait qu’on tienne compte de nos valeurs, de nos réalités et de notre culture.»


MARIA DOMINICA T. DIEDHIOU

Cet article a été ouvert 6091 fois.

Publié par

Namory BARRY

admin

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Ndiaga Ndiaye

Directeur de publication

Service commercial