CNG de lutte : Alioune Sarr, les dessous d'une longévité qui dérange

vendredi 25 septembre 2020 • 1752 lectures • 1 commentaires

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CNG de lutte : Alioune Sarr, les dessous d'une longévité qui dérange

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Président du Comité National de Gestion (CNG) de la lutte sénégalaise depuis 1994, Alioune Sarr n’a jamais été aussi secoué que lors de son dernier mandat en cours. Pendant que le débat sur sa reconduction ou non fait rage, L’Observateur mène l’enquête sur la gestion du docteur.

L’homme a un côté défensif, parfois sous forme d’indifférence et de froideur. La fameuse déformation professionnelle a certainement affecté les caractéristiques du docteur Alioune Sarr jusque dans sa façon de gérer la lutte sénégalaise. C’est avec méthode parfois rustre, mais très souvent avec des effets sur l’efficacité que Alioune Sarr a géré avec maestria, la lutte sénégalaise pendant une éternité… 26 ans. De 1994 à nos jours. Dans une marche où les louanges côtoient les critiques les plus acerbes. Son dernier mandat (il a été reconduit en décembre 2018 pour deux ans) a souffert de la plus farouche contestation portée d’une part, par les lutteurs et d’autre part, par les arbitres, mais cela n’a pas empêché le docteur d’être aux petits soins pour son patient, la lutte. Si en 1994, Alioune Sarr était l’homme providentiel sur qui le ministre des Sports de l’époque, Ousmane Paye, pariait sans se tromper, il présente aujourd’hui aux yeux de certains de ses administrés, les traits d’un despote. Des amateurs décrient sa longévité, les lutteurs dénoncent des sanctions pécuniaires abusives, les arbitres passés à la guillotine crient au scandale.

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«C’est un dictateur»

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Les détracteurs de Alioune Sarr ont une batterie de reproches à poser sur la table. Ancien président de la commission centrale des arbitres, Sitor Ndour, radié à vie pour avoir mené une grève (les arbitres réclamaient l’augmentation de leurs honoraires et de meilleurs conditions), ne rate pas l’occasion de lui tailler un costume de «dictateur». «Je n’ai rien contre la personne de Alioune Sarr, mais quand je dis que c’est un dictateur, c’est par rapport à la façon dont il a géré le problème des arbitres que nous sommes. Au Cng, la commission règlements et discipline qui s’occupe des problèmes de la lutte est sous son influence. Une fois, il y avait quelqu’un qu’on devait entendre. Le président prend la parole en pleine réunion pour dire : «Je voudrais qu’on évacue ce problème et qu’on pardonne au gosse. Il en fut ainsi. Alors que ça ne devrait pas se passer ainsi. C’est la commission qui devait décider. Aujourd’hui, quand ça l’arrange, il dit que la commission est autonome. Dans mon cas (sa radiation à vie), ce n’est pas la commission qui a décidé. Le président Alioune Sarr et le président de la commission ont pris la décision avant que je ne sois entendu. Ça c’est de la dictature.» L’ancien président des arbitres a longtemps siégé au comité directeur du Cng. 


Son indifférence


Dans cette auguste assemblée, Doudou Diagne Diecko, le président des amateurs de la lutte, a eu l’insigne honneur d’y siéger. A l’occasion, il a appris à connaître Alioune Sarr et à apprécier sa méthode. Le seul bémol pour lui, c’est que si un membre du Cd a une proposition ou une doléance à poser en réunion, le président Sarr lui demande de le faire par écrit. «Les gens écrivent, malheureusement le président  Sarr ne répond souvent pas. Donc ça n’a pas de sens d’écrire. Ça c’est un problème dans la gestion de Alioune Sarr». Diecko reproche également à Alioune Sarr son «refus » de rendre compte de sa gestion au monde de la lutte à la fin de chaque exercice. «Alioune Sarr aime à dire que c’est à la tutelle qu’il doit des comptes. Non, il doit respecter le cahier de charges qui veut qu’une Ag d’informations se fasse très souvent. Si le Cng organisait à chaque fin de saison, une Assemblée Générale d’informations, il y aurait moins de contestations aujourd’hui».


«Insensible à la pression»


Le ramdam médiatique pour son départ a pris de l’ampleur cette année. Certains sont même allés jusqu’à acter son départ, dressant déjà les profils de ses potentiels successeurs. Mais comme les batailles qui ont précédé la guerre autour du fauteuil de président du Cng, Alioune Sarr est resté fidèle à ses convictions et maître de son destin. «Le jour où je serai convaincu que j’ai atteint mon seuil d’incompétence, je partirai. Je partirai quand Dieu le décidera. Mais, pour le moment, je suis le responsable d’une embarcation qui a ses règles, son esprit et sa façon de gérer», disait-il à qui veut l’entendre lors de son passage en avril 2020, dans l’émission Grand Jury de la RFM. Amateur de lutte sénégalaise, le président du Cng sait encaisser des coups, mais en donner aussi. En réplique à la bande à Gris Bordeaux qui traite son équipe de «groupe de voleurs», Sarr brandit de sérieuses menaces de poursuites judiciaires à l'encontre de ceux qui accusent l'instance dirigeante de la lutte sénégalaise de détourner l'argent défalqué des cachets des lutteurs.  «Nous sommes insensibles à la pression. C'est facile de dire qu’untel ou un autre a volé, mais faudrait-il le prouver», se défendait-il. Les lutteurs n’iront pas plus loin dans ce combat perdu d’avance. A ceux qui dénoncent sa longévité, sous prétexte que 26 ans à la tête du Cng, ça use, Alioune Sarr dit : « Ça use parce que tout simplement, nous avons affaire à des groupes qui n’ont d’objectifs que de résoudre des problèmes crypto-personnels. Il faut tout le temps faire face pour rappeler à tout le monde que la mission est globale et que c’est l’intérêt du sport sénégalais, en particulier de la lutte, qui est en jeu et non pas les querelles. Cela peut ne pas user, si on a l’intime conviction que ce que nous faisons avec conscience, nous le faisons sans avoir peur de faire mal. Quand vous devez tracer une voie, forcément vous aurez à déplacer, recentrer et recadrer. Tout cela ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut avoir le courage de sa vision et de son opinion, surtout avoir en tout instant, en tête que cette mission nous vient du sommet de l’État. Nous sommes Sénégalais et patriotes, et tant que nous pensons la mener, nous la mènerons sans état d’âme.» La froideur du médecin qui n’est pas arrivé à la tête du Cng par défaut. 


«Il a réussi à aseptiser l’environnement de la lutte »


Né à Fatick, de parents issus du Saloum (son père est originaire de Djilor Diognick, entre Foundiougne et Passy et sa mère est mandingue du Saloum, de Missirah plus précisément, vers la frontière avec la Gambie), Alioune Sarr, après ses études primaires, s’est retrouvé au Lycée Van Vo de Dakar, devenu Lycée Lamine Guèye, ensuite, à la Faculté de Médecine. Il a passé sa carrière médicale dans la Fonction publique, à l’hôpital Abass Ndao où il est arrivé en novembre 1975, il y a été médecin-chef pendant 16 ans et directeur pendant 7 ans. Il quitte l’hôpital pour devenir inspecteur des services sanitaires de la Ville de Dakar en 1999. Il a ensuite pris sa retraite par anticipation pour se retrouver dans le privé. Aujourd’hui, il dirige une clinique à Dakar. Sur le plan sportif, Alioune Sarr a joué au handball, au lycée. Il a été médecin des équipes nationales, entre 1975 et 1981, où il eu la chance, avec le football, le volley, le basket-ball, de faire une bonne partie de l’Europe et de l’Afrique. Suffisant pour taper dans l’œil du ministre Ousmane Paye qui cherchait le bon profil pour gérer la lutte. «Je suis président du Cng depuis mars 1994. Ousmane Paye, arrivé à la tête du ministère des Sports et connaissant ma passion pour la lutte, m’a demandé de réfléchir pour me confier cette discipline. Ma réponse était simple car, quand un ami s’engage, si vous doutez pour l’accompagner, c’est que l’amitié n’est pas sincère. Je lui ai donné mon accord à la condition de choisir mes collaborateurs. Quand je suis venu dans son bureau, après mes propositions, il a tiré son tiroir, et, ironie du sort, à deux personnes près, lui et moi avions ciblé les mêmes personnes. J’avais ajouté que je restais pour deux ans et le sort a voulu que j’y suis encore. Pour vous dire qu’on ne maîtrise pas souvent son destin. Combien de temps resterai-je ? Si cela ne dépendait que de moi, très sincèrement, je serai parti depuis longtemps. Je ne suis plus jeune et il ne faut pas croire qu’on est irremplaçable. Il faut savoir partir et j’ai envie de partir. Mais, si tu décides de partir alors que tout le monde te demande de rester, tu as presque l’obligation de les écouter. Pour combien de temps encore ? Je ne sais pas. Il faut qu’on me limoge, comme ça, j’aurai le temps de m’occuper d’autre chose, le temps qu’il me reste à vivre», confiait le président du Cng à L’Observateur en 2009.


L’un des collaborateurs que le docteur Sarr avait choisi en 1994 pour l’accompagner dans la mission est toujours dans la partie, Thierno Kâ. «Quand le ministre le nommait, la lutte traversait des moments extrêmement difficiles. On pouvait rester 6 mois sans combat. Alioune Sarr a ramené l’ensemble des acteurs de la lutte à une meilleure compréhension de la chose et a sécurisé les lutteurs. Il a mis en place un certain nombre de décisions pour mieux garantir la pratique de la discipline», rappelle le vice-président du Cng. Membre du CNG depuis 26 ans, Thierno Kâ se voit mal juger la gestion de Sarr. «On ne peut pas être juge et partie. On ne peut pas accompagner quelqu’un pendant tout ce temps et trouver des points négatifs dans sa gestion. S’il y avait des points négatifs, on aurait claqué la porte, il y a longtemps», dit-il. Thierno Kâ qui a connu Alioune Sarr depuis le lycée, assure que «c’est un monsieur constant. Il n’a jamais changé. C’est un homme bien». La gestion ? « Alioune Sarr a pris beaucoup de grandes décisions qui concouraient à une amélioration de la pratique de la lutte, à la sécurisation des lutteurs, comme des amateurs parce que souvent, il y avait des combats qui n’arrivaient pas à terme. Il a réussi à aseptiser l’environnement pour que ceux qui avaient des sous à placer puissent avoir le choix d’investir dans la lutte comme ils pouvaient le faire ailleurs», note Thierno Kâ. 


« Qu’est-ce qu’on lui reproche si ce n’est sa longévité »


Pape Abdou Fall est l’un des bailleurs qui ont bien voulu investir dans la lutte. Le débat sur Alioune Sarr l’a bien interpellé. «Je ne vois pas ce qu’on pourrait reprocher à la gestion de Alioune Sarr. Tout ce que j’ai entendu comme arguments, c’est qu’il doit partir parce qu’il a trop duré à la tête du Cng. Ce qu’on attend d’un dirigeant, c’est du résultat. Aujourd’hui, les promoteurs sont sécurisés, les lutteurs aussi... L’arène est en train de jouer avec le feu. Il faut qu’on joue la carte de la prudence pour éviter le regret. La lutte a connu un grand développement. Aujourd’hui personne ne dira qu’il a été escroqué dans la lutte. Il faut reconnaître que Alioune Sarr a développé cette discipline. Maintenant, si nous versons dans la légèreté pour accepter que des groupuscules se lèvent uniquement pour changer Alioune Sarr, ce sera à nos risques. Il faut se demander qui sont ceux qui veulent son départ, et ce qu’ils ont apporté à la lutte. Posons-nous les bonnes questions. J’appelle l’État à prendre ses responsabilités. Si la lutte flanche, ça sera la catastrophe. Les acquis il faut les préserver. Je ne dis pas que Alioune Sarr est parfait, mais les lobbys qui demandent son départ risquent de nous coûter cher». De son côté, le président contesté continue d’affirmer sa personnalité avec la froideur d’un médecin face aux évènements.


IDRISSA SANE

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Publié par

Namory BARRY

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