Parcours : Thione Ballago Seck en 5 dates

lundi 15 mars 2021 • 1439 lectures • 2 commentaires

Société 3 ans Taille

Parcours : Thione Ballago Seck en 5 dates

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Plus d’une cinquantaine d’années de parcours dans la musique durant lesquelles Thione Ballago Seck aura connu l’échec comme le succès.

1973. Batteur de tam-tam, le jeune Thione écume les cérémonies traditionnelles et familiales. Jusque-là son talent se confine à cet art, mais au cours d’une fête, l’adolescent de 15 ans s’essaie au micro. «Il ne le lâchera plus jamais», dit Fadel Lô, son portraitiste et auteur du livre «Paroles de Thione Seck, un poète inspiré et prolifique», sorti en 2016. Bira Guèye, un saxophoniste qui habite le même quartier que lui à Pikine, dans la banlieue dakaroise, fait de lui son poulain. Il l’encadre jusqu’à la fameuse nuit de la Jeanne D’Arc en 1973 animée par l’ensemble lyrique traditionnel dont est pensionnaire un certain Abdoulaye Mboup. Virtuose de la musique d’après-indépendance, ce dernier décédé 2 ans après cette rencontre, inspirera à Ballago l’un de ses plus célèbres tubes sur l’évanescence de la vie. Mais avant, le pygmalion accomplit une dernière mission culturelle en mettant la star en devenir de 16 ans d’abord, entre les mains d’un autre maître : Ibra Kassé et sa Star Band, creuset de talents des années 60-70. Ensuite sous la bannière de sa propre formation, l’Orchestra Baobab. Le frêle adolescent y supplée, de temps en temps, son mentor et pousse à l’ombre du baobab. En 1975, il sort son premier grand succès «Sëy», un condensé de conseils rythmiques sur le mariage au son duquel le grand public se laisse aller. Il était jusqu’ici interprète, il se révèle auteur et créateur avec la mise sur pied de son ensemble lyrique traditionnel. Le bourgeon fleurit, mais reste ancré comme une excroissance à l’Orchestra Baobab.

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1980. Avec son ensemble, Ballago rencontre un énorme succès et est de plus en plus sollicité pour des représentations. Il lui faut donc se rendre à l’évidence. Il faudra larguer les amarres, s’il veut tester ses propres limites. En 1978, la décision est donc prise de répondre à l’appel du public et pour pallier son départ de l’Orchestra, il se fait remplacer par son jeune frère Mapenda, dont la voix emprunte les mêmes tonalités. Mais pour Thione, l’aventure ne dure malheureusement que le temps de quelques tournées à travers le Sénégal. Son ensemble ne tiendra pas plus d’une année, mais ses rêves de succès lui donnent la force de continuer son chemin. Même s’il faut pour ça prendre les airs. En 1980, Thione Seck décide de répondre à l’appel de Paco Rabanne, créateur de parfum et accessoirement dénicheur de talents africains.  «L’Afrique, c’est chic» est le slogan du moment dans le Paris des années 80. Le parfumeur ouvre donc un Centre pour aider la diaspora noire à émerger dans le marché occidental. «Thione n’a tenu que 6 mois dans la capitale française. La production avait sur les mains une liste de 700 chanteurs et lui me disait avec son humour qu’il était à la 660e. Il me raconte en caricaturant comment le froid et les hamburgers ont failli le tuer», rit tristement Fadel. L’aventure le marque tellement que le parolier exorcisera ses démons en écrivant deux chansons sur le thème : «France» et «Siw». Il évoque dans le dernier titre de manière implicite les rumeurs d’emprisonnement qui ont couru sur son compte lors de son exil parisien. «Siw dou diami boromam», ne cessera-t-il plus jamais de chanter.

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1983. «On ne va jamais si loin que lorsque l’on ne sait pas où l’on va», dit l’adage. Chanteur sur liste d’attente au Centre Paco Rabanne, immigré désœuvré dans les rues de Paris, l’artiste fait le pari du retour au bercail et d’un nouveau départ. Il décide de recréer un autre ensemble, mais désargenté et non bancable, il ne peut compter sur aucun financement pour l’achat du matériel. Qu’à cela ne tienne, Thione met une hypothèque sur la maison paternelle et rachète les instruments d’un autre orchestre en faillite. On est en 1983, l’épopée du Raam daan est lancée. Des tubes à n’en plus finir pendant une trentaine d’années. Des paroles érigées en philosophie de vie pour toute une génération de Sénégalais. Une rythmique infernale pour les mélomanes. Des rendez-vous endiablés pour les fans au Ngalam, Sahel. Puis à Penc Mi, le club qu’il crée dans le virage des années 2000, en homme d’affaires avisé et où il profite des retombées de son fameux succès musical «Mathiou». Petite anecdote, Thione détenait à ce moment-là, selon son biographe, le record de l’album le plus cher, avec Orientissime, produit au début des années 2000 avec plus de 100 millions injectés par Ibrahima Sylla. «Une perle de l’Orient autant que de l’Occident africain, puisqu’elle est née, de Madras à Dakar en passant par le Caire, du mariage des rythmes et mélodies répandues par les vents qui soufflèrent de l’océan Indien vers l’Atlantique», en dit éloquemment une présentation. 


2015. A 55 ans, le chanteur qui a une quarantaine d’années de carrière à son actif, opère un repli volontaire de la scène. L’explication est à chercher dans l’émergence de ce jeune chanteur au regard encore timide et à la voix façonnée pile comme lui. Waly Ballago Seck, son fils, est bien décidé à prendre la relève et à aller encore plus loin que le père. Son premier single, «Bo dioudo», sorti en 2007 est un succès. Un album de 7 titres suivra en 2009. On ne parle plus de Waly comme le fils de…mais de Thione comme le père de… Ce dernier cède donc progressivement la place. «Il a expliqué son retrait par son désir de lui céder la place parce qu’il savait qu’en tant que fils de Thione Seck, rien ne sera pardonné à Waly», révèle Fadel. L’année d’après, le parolier offre un bijou à la scène musicale sénégalaise en hommage à sa femme «Diaga», son «support». Le parolier se taira ensuite pendant au moins 10 ans. L’homme en revanche connaitra quelques déboires avec la justice pour, entre autres, blanchiment de capitaux. Arrêté en mai 2015, il passera 8 mois en détention préventive et sera condamné en appel. Thione a pourtant toujours clamé son innocence. «On m'a emprisonné pendant huit mois. Ils m'ont fait du tort, à ma famille et mes fans», disait-il. En pleine tempête judiciaire, l’artiste reprend du service avec un projet pharaonique. «Cedeao en chœurs» en 2017, qui réunit plus de 320 chanteurs sénégalais ayant déjà posé leurs voix. Il devait, selon Fadel, se rendre dans les prochains jours en Guinée et en Côte d’Ivoire pour faire poser les grands noms des 16 pays de l’espace. Un ambitieux projet et lourd projet dont la seule tournée devait prendre 7 ans. Il avait procédé l’année dernière, à une séance d’écoute de deux titres dans son studio, il en profitait alors pour fustiger le manque de soutien des autorités culturelles. 


2021. Thione Ballago Seck, 66 ans, avait entamé la nouvelle année plein de projets. Après plus de 10 ans de silence musical, il devait sortir un album pour lequel il était encore en studio. Un album dont la sortie était programmée à une semaine avant le ramadan. «C’est un hommage aux chefs religieux», confie Fadel. Evacué à l’hôpital vendredi dernier, jour de son anniversaire, «Papa Thione (Père Thione)», comme l’appellent affectueusement ses concitoyens, ne survivra pas à l’infection au coronavirus. Contrairement à son œuvre intemporelle qui devrait encore bercer, inspirer, des générations et générations de Sénégalais.
AICHA FALL

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Publié par

Namory BARRY

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