Plongée dans la guerre du sucre

mardi 24 novembre 2020 • 283 lectures • 1 commentaires

Économie 3 ans Taille

Plongée dans la guerre du sucre

PUBLICITÉ

Entre la Compagnie sucrière sénégalaise (Css), le ministère du Commerce et les importateurs de sucre, les relations sont devenues conflictuelles. La délivrance de Déclarations d'importation de produits alimentaires (Dipa) est passée par là. L’Observateur a donné la parole à toutes les parties pour mieux comprendre le fond du problème qui secoue le pays. 

OUMAR DIALLO, DIRECTEUR DU COMMERCE INTERIEUR : «La Css a toujours voulu importer elle-même tout le gap de sucre»

PUBLICITÉ


Depuis quelques jours, il y a toute une guéguerre autour de la délivrance de Déclarations d'importation de produits alimentaires (Dipa). Sur quelles bases ces Dipa sont attribuées ?

PUBLICITÉ


C’est un document qu’on exige chaque fois qu’il y a quelqu’un qui veut importer un produit alimentaire. Il sert à contrôler la qualité du produit alimentaire à l’importation. Quand vous voulez importer du sucre, il vous est demandé de faire la déclaration d’importation du produit en nous fournissant la facture d’achat du fournisseur, le certificat d’origine qui prouve que le produit est de consommation légale dans son pays d’origine. Si c’est un nouveau produit alimentaire, vous joignez quatre échantillons du produit. La Dipa sera alors attribuée une fois que nous aurons analysé le produit. L’importateur ne peut pas dédouaner son produit (qu’il s’agisse du sucre, de l’huile, de la farine, du riz… tout ce qui est produit alimentaire) sans avoir ce document.


Comment, en tant que Directeur du Commerce, pouvez-vous nous expliquer toute cette polémique qu’il y a autour du sucre ?


La Compagnie sucrière sénégalaise (Css) fait une production de sucre locale. Cette production ne suffit pas pour couvrir nos besoins pendant un an. La production de la Css ne couvre que huit (8) ou neuf (9) mois sur douze (12). Chaque fois qu’on arrive au mois de juin-juillet, le sucre local est épuisé. Puisque nous avons en charge l’approvisionnement correct du marché en denrée de première nécessité, il nous faut trouver un stock qui puisse couvrir le déficit de la production locale. Cela, on peut le faire qu’en important du sucre. Chaque fois que la Css termine son sucre, il y a une période où on ouvre les importations. En général, c’est deux (2) mois. Mais cette année, en raison du Covid-19, le gap à couvrir était sur trois (3) mois. On a estimé qu’il fallait importer 60 000 tonnes de sucre à partager entre les importateurs sénégalais et la Css. Lorsqu’on a ouvert les importations au mois de juillet-août-septembre, les commerçants ont importé leur sucre et l’ont mis sur le marché national. La Css aussi a importé son sucre, mais elle ne pouvait pas vendre parce qu’elle ne peut pas avoir un prix aussi concurrentiel que les autres commerçants. La Css détient du sucre importé au même titre que les autres commerçants. C’est ce sucre-là qu’elle n’a pas pu vendre depuis trois (3) mois parce que le prix sur le marché est inférieur. Elle ne peut vendre qu’à partir de 545 000 FCfa la tonne. Or, le prix actuel est à 540 000 FCfa. C’est cela le problème fondamental. Tant que les importateurs n’ont pas épuisé leur stock, la Css ne peut pas vendre. Pour vendre, la Css a besoin de ces commerçants. C’est à ces commerçants qu’elle vend le sucre pour que ces derniers le mettent sur le marché. La Css ne vend pas directement. Elle est donc obligée d’attendre que ces commerçants viennent vers lui pour vendre son stock de sucre importé. Ce sont ces deux raisons qui ont fait que la Css ne peut pas vendre pour le moment son sucre importé.


Pourquoi vendent-ils plus cher ?


Ils veulent préserver leurs comptes d’exploitation. La Css a indexé le prix sur le coût du sucre local. Le prix du sucre local est homologué à 545 000 FCfa la tonne. Pour respecter leurs comptes d’exploitation, il faut qu’ils vendent à 545 000 FCfa la tonne. C’est pourquoi, tant que le marché détenu par les autres importateurs est à 540 000 FCfa, aucun commerçant ne va acheter à 545 000 FCfa, sachant qu’il peut l’avoir moins sur place.


La Css accuse le ministère du Commerce d’avoir surévalué le gap qui était, selon elle, arrêté à 40 000 tonnes de sucre. Comment êtes-vous passés de 40 000 à 60 000 tonnes ?


A la date du 27 mai 2020, la Css nous a saisis par lettre pour nous dire que son stock de vente courant est évalué à 43 000 tonnes et que cette quantité allait juste suffire pour couvrir les mois de juin et juillet. Cela fait 21 500 tonnes par mois.  Comment peuvent-ils dire qu’ils ont 43 000 tonnes pour couvrir deux mois de consommation et dire ensuite que le gap à couvrir c’est 40 000 tonnes ? Ce n’est pas logique. Pour couvrir le gap de trois mois, il faut multiplier 21 500 tonnes par trois. Cela fait 64 500 tonnes. On a évalué, on a dit que la consommation minimum du sucre au Sénégal, c’est 18 000 tonnes par mois. On a agrégé cela. Sur les trois mois, on aura 54 000 tonnes à combler. Nous avons prévu un stock de sécurité de 5 000 ou 6 000 tonnes. Cela fait au total 60 000 tonnes. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans une année difficile et exceptionnelle. Lorsque le Covid-19 est apparue, beaucoup de pays frontaliers ont fermé leurs frontières. Beaucoup de nos populations installées dans les frontières allaient s’approvisionner en sucre dans ces pays. Quand on a fermé les frontières, ces populations se sont retournées vers la production locale. La demande était beaucoup plus forte que d’habitude. On devait prendre en compte cet aspect pour qu’il n’y ait pas de pénurie. D’ailleurs, vers mars, des cas de pénurie et des hausses nous avaient été signalés sur le sucre. Il fallait mettre suffisamment de sucre sur le marché pour éviter les pénuries et les hausses injustifiées sur le prix. Je voudrais aussi préciser qu’il n’y a pas que les commerçants qui importent du sucre. Les industriels qui fabriquent du chocolat, de la boisson, n’achètent pas à la Css, ils importent leur sucre. De janvier à octobre 2020, nous avons mis sur le marché 173 000 tonnes de sucre cristallisé, dont 107 000 tonnes de sucre importées par les industriels qui n’ont rien à voir avec les 60 000 tonnes données pour couvrir les gaps de la consommation. Je précise aussi que les Dipa données aux industriels sont délivrées sur la base d’une attestation délivrée par la Direction de l’Industrie.


Certains acteurs pensent que derrière toute cette agitation de la Css, se cache une ambition de détenir le monopole de l’importation du sucre. Qu’en dites-vous ?


Ce n’est pas un secret. La Css a toujours voulu importer elle-même tout le gap de sucre. C’est un industriel qui se met aussi à la place des importateurs. Mais nous le comprenons parce que pendant la période où elle ne produit pas, elle fait de la maintenance. Elle maintient ses charges et ses frais. C’est normal que nous puissions lui accorder une partie du quota. Depuis quelques années, la Css voudrait que la totalité du quota à importer lui revienne.


Et comment vous procédez au dispatching entre la Css et les commerçants importateurs ?


L’année dernière, le gap à couvrir était de 30 000 tonnes, sur deux mois. On avait donné 10 000 tonnes à la Css et 20 000 tonnes aux commerçants importateurs. Cette année-ci, la période de couverture du gap était plus importante. On a donné 20 000 tonnes à la Css et 40 000 tonnes aux commerçants importateurs. Ces attributions sont effectuées sur la base de négociations entre la Css, les importateurs, le ministère du Commerce pour déterminer le quota à donner à chaque partie. Pendant la période de gel (période où c’est le sucre produit par la Css qui est sur le marché), ce sont les commerçants qui achètent le plus à la Css qui recevront plus de quotas d’importation. Ce qui fait que certains se sont retrouvés avec une Dipa de 1 000 tonnes, d’autres 2 000 tonnes. Cela dépend du volume qu’ils achetaient à la Css. Chaque année, on évalue selon les besoins du gap à couvrir. Dès l’instant que nous connaissons le rythme de consommation mensuelle, nous demandons à la Css de nous communiquer son stock. C’est la Css qui nous lance l’alerte.


LOUIS LAMOTTE, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES DE LA CSS  : «Le ministère est en train de se prendre les pieds dans le tapis»


CHERTE - «La cherté, il ne faut même pas l’évoquer. Nous ne l’évoquons pas avec des importateurs qui ne dépendent que du marché. Nous sommes des producteurs. Nous maîtrisons nos coûts et nos facteurs de production. S’il faut nous comparer, il faut le faire avec le prix du sucre en Côte d’Ivoire où le sucre coûte 800 FCfa le Kg, au Cameroun, cela coûte 700 FCfa le Kg. Nous sommes à 545 FCfa. Celui qui produit et celui qui spécule ne peuvent pas être ensemble. Cette histoire de prix ne tient que de la langue de certains commerçants, mais aucun consommateur ne le constate avec le sucre importé. Il est vendu au même prix que le sucre produit par la Css. Il y a 11 000 tonnes qui concernent notre production avec le démarrage de la campagne. 13 000 tonnes sont venues s’y ajouter. Actuellement, nous sommes à 24 000 tonnes de stock dans notre production plus les 20 000 tonnes qu’ils nous avaient données.»


MONOPOLE – «Nous ne cherchons pas le monopole. Nous cherchons simplement à ce que les Dipa (Déclaration d'importation de produits alimentaires) soient moralisées. Quand on définit un gap, il faut s’y tenir. Qu’on arrête de vendre les Dipa pour s’enrichir sur le dos de milliers de travailleurs. C’est ce que nous réclamons. Si on dit que le gap est de 1000 tonnes, qu’ils donnent les 1000 tonnes aux commerçants et qu’ils s’arrêtent à cette quantité. Qu’ils ne donnent pas 10 000 tonnes derrière pour se remplir les poches. Nous travaillons avec notre production. Ce ne sont pas les importations qui vont nous enrichir. Les importations nous empêchent de travailler.»


GAP - «Quand on évoquait 40 000 tonnes comme le gap à combler, nous avions 43 000 tonnes en stock. C’était au mois de mai. Ensuite, la Covid-19 a mis sur le marché 10 000 T de sucre à distribuer aux populations. Nous avons pris en compte tous ces éléments pour parler de 40 000 T. Nous sommes très cohérents. Nous maîtrisons le marché depuis 50 ans. Nous donnons ces informations pour éviter au Sénégal une pénurie. Il n’y a jamais eu de pénurie parce que c’est sur la base de nos propres calculs que ces importations ont toujours été faites. Jusqu’à cette année où ils ont fait ce qu’ils ont voulu faire. Je ne vais pas polémiquer avec les commerçants. Ce qui m’intéresse, c’est le ministère et ce qu’il a fait de ces Dipa. Le ministère est en train de prendre les pieds dans le tapis. Il dit avoir donné 43 000 T aux commerçants. Comment se fait-il que depuis mi-juillet, cette quantité n’est pas finie, alors qu’il y a eu le Magal, le Gamou?»


MOUSTAPHA TALL, IMPORTATEUR DE SUCRE : «Le prix auquel la Css veut vendre le sucre n’existe pas sur le marché»


Depuis quelques jours, le sucre fait encore parler de lui au Sénégal. Entre dénonciation, protestation, marche, attaque et contre attaques, la productrice (la Compagnie sucrière Sénégalaise), importateurs et autorités du commerce sont littéralement à couteaux tirés. Mais pourquoi le sucre aiguise-t-il autant d’appétits ? Moustapha Tall, importateur, affirme qu’avec la libéralisation du marché, les prix sont assez bas comparés aux offres de la Css. «Le prix auquel la Css veut vendre le sucre n’existe pas sur le marché. Les commerçants préfèrent pour le moment, s’approvisionner auprès des importateurs qui vendent même à 520 FCfa le kilogramme. Ce qui fait qu’ils n’iront acheter auprès de la Css qu’après épuisement du stock des importateurs. Puisqu’elle est hyper protégée, elle ne connaît pas un marché libéral. Alors nous, nous ne connaissons pas un marché protégé. Le sucre est plus cher au Sénégal que dans la sous-région», explique l’homme d'affaires. Pour étayer ses propos, Moustapha Tall convoque l’histoire. «Avant qu’elle ne détienne le monopole, le sucre coûtait 65 FCfa, lorsqu’on lui a attribué l’exclusivité de la production, la Css a augmenté le prix au kilogramme à 225 FCfa. Soit une augmentation de 300%.»


AIDA COUMBA DIOP

Cet article a été ouvert 283 fois.

Publié par

Namory BARRY

admin

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Ndiaga Ndiaye

Directeur de publication

Service commercial