Pollution : Une bombe à retardement au village de Keur Abdou Ndiaye

samedi 16 janvier 2021 • 898 lectures • 1 commentaires

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Pollution : Une bombe à retardement au village de Keur Abdou Ndiaye

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Ça pue la révolte au village de Keur Abdou Ndoye sis dans la commune de Cayar où les populations des villages se plaignent de la pestilence dégagée par une usine de production de farine de poisson. L’Obs est descendu sur le terrain pour tâter le pouls de cette «bombe à retardement». 

De retour de son périmètre maraîcher, Abdou Sow jette un regard dégouté vers l’usine Barna, implantée à quelques lieux de leur village. Psychologiquement, il est abattu par l’odeur du poisson pourri qui se dégage de cette usine presque tous les soirs. Et il n’est pas le seul dans ce cas de figure au village de Keur Abdou Ndoye où les populations reçoivent directement l’odeur nauséabonde de cette usine à chaque fois que les machines sont allumées pour une production. Le plus souvent, une fois la nuit tombée, ces populations ne profitent plus de la fraîcheur nocturne accompagnée de la brise marine de la plage de Cayar. En lieu et place, c’est l’odeur nauséabonde du poisson pourri que dégage l’usine qui embaume l’atmosphère. La première fois que cette odeur a envahi le village, en plein sommeil, Abdou Sow a sursauté de son lit croyant qu’il y avait une souris en état de décomposition dans la chambre. Cet homme marié à 3 épouses et père de 8 enfants a fouillé les coins et recoins de la chambre, en vain. La puanteur continuait d’agresser ses narines de plus belle. «Cette nuit, je croyais que c’était l’odeur d’une souris morte dans la chambre. Ayant cherché partout je n’ai rien trouvé. Je suis allé voir du côté de la véranda, c’était pareil, rien», se souvient Abdou Sow. C’est le lendemain, en allant au marché, qu’il a su la provenance de cette odeur nauséabonde. «A chaque fois que cette odeur nauséabonde titille mes narines, j’ai mal à la tête. Une odeur nauséabonde ne peut apporter que des maladies», soutient Abdou Sow. 
A Keur Abdou Ndoye, village niché dans la commune de Cayar, un calme quasi monacal règne en ce mercredi. Tout semble harmonieux dans ce village. Tout, sauf cette odeur nauséabonde et suffocante qui happe le visiteur dès l’entrée du village. Indisposées, les populations qui peinent à se faire à cette puanteur, passent leur temps à se pincer les narines. Et à éructer de dégoût et de colère contre les miasmes putrides qui empestent leurs narines à longueur de journée. L’usine Barna est désignée comme la coupable de cette pollution olfactive. Vice-président de l’Association des horticulteurs de la localité, par ailleurs chargé de la communication, Abdou Sow continue : «Tout ceci peut nous rendre malade. Cette usine doit être délocalisée afin que les populations retrouvent leur quiétude d’antan. Les populations de Keur Abdou Ndoye ne peuvent plus cohabiter avec cette usine et nous sommes prêts à tout pour nous en débarrasser.»

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«Nous craignons l’apparition de problèmes d’asthme, d’hypertension, de diarrhées, de vomissements etc.»

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Sur le pas d’une demeure ceinturée de briques nus, Moustapha Ndoye, corpulence moyenne enveloppée dans une demi-saison immaculée, écouteurs enfoncés dans les oreilles, dentition d’une blancheur éclatante, râle sec contre cette puanteur qui a fini de porter un sacré coup à leur santé. «Cette usine pollue outrageusement notre environnement. La situation est devenu invivable ici. Il est impossible de respirer de l’air pur dès qu’elle commence à fonctionner. D’ailleurs, cela a poussé la mise sur pied de notre collectif qui fait son possible pour inciter les autorités à réagir afin que ces usines déguerpissent de notre cadre de vie», lance-t-il dans un excès de rage qui a fini de planter les graines de la révolte. Ce natif de 1976 dont l’arrière-grand-père est le fondateur et parrain du village, soutient : «Mon jeune frère travaille dans cette usine. Et si cette usine ne menaçait pas notre santé, on n’aurait pas à en redire.» Trouvé en pleine discussion sur le sujet devant une boutique en face de la route bitumée menant vers le quai de pêche de Cayar, Assane Ka abonde dans le même sens. Assane Ka craint aussi pour la santé des populations. «Ceux qui ont des problèmes d’hypertension, les asthmatiques et autres sont exposés à des crises à cause de cette odeur nauséabonde», s’inquiète-t-il. Une crainte qui trouve écho dans les propos de Nogaye Diop. Cette maman de plusieurs enfants ne respire pas la zénitude. «Depuis l’implantation de cette usine, nous ne respirons plus la bonne santé. On vit les pires difficultés. Parfois, je plaisante avec les autres femmes en leur disant qu’il n’est pas nécessaire de mettre du poisson séché (guédj) dans nos plats. La puanteur que dégagent ces usines suffit à assaisonner nos plats (sic). Nous sommes tous sujets à des crises d’asthme. Nous craignons l’apparition de problèmes d’hypertension, de diarrhées, de vomissements surtout chez les enfants qui sont très fragiles.» Localité située dans la zone des Niayes, les populations de Keur Abdou Ndoye s’activent pour la plupart dans le maraîchage et le commerce des produits qui en découlent. Cette usine qui devait constituer une bénédiction pour les populations de la localité est aujourd’hui leur pire cauchemar. 


«Cette usine est dans l’illégalité»


Avec un investissement de 7 milliards de FCfa, Banar, mis sur pied par des Espagnols, est à cheval entre le quai de pêche de Cayar et le village de Keur Abdou Ndoye, distant respectivement de 2,2 km et de moins d’un kilomètre. Aujourd’hui, sa présence justifie la mise sur pied d’un mouvement de lutte contre son implantation et un second pour prendre le contrepied du premier. Assis sur une pirogue avec un ami, le téléphone scotché à l’oreille, Andoye Fall est favorable à l’implantation de cette usine de farine de poisson à Cayar. Pêcheur ayant travaillé avec des usines de farine de poisson durant 4 ans en Mauritanie, Andoye Fall explique : «C’est du matériel de dernière génération que Banar a installé ici et des études sur l’impact environnemental ont été effectuées. L’usine possède son propre forage et l’eau utilisée pour le lavage des poissons est recyclée pour être réutilisée.» Etant le seul à comprendre l’Espagnole au moment de l’installation des machines, Andoye Fall avait été recruté à titre d’interprète. «Ceux qui s’opposent à l’implantation de cette usine n’y connaissent rien. Ils comparent cette usine, dont le matériel est de dernière génération, avec celles qui existent ailleurs et qui ne respectent pas les normes environnementales», soutient Andoye Fall. Qui précise : «Quand l’usine démarre sa production, aucune fumée ne se dégage. On sent juste l’odeur du poisson et c’est tout à fait normal.» Il poursuit : «Avant l’arrivée de cette usine, nos existences étaient rythmées par les coupures intempestives d’électricité, mais avec le poste électrique de l’usine, c’est du passé et l’éclairage public a été densifié.» Si Banar est une bénédiction pour Andoye Fall, elle est une malédiction pour Mor Mbengue, coordonnateur du Collectif de lutte contre l’implantation de l’usine de fabrique de farine de poisson à Cayar. «Implantée dans un site de lotissement à usage d’habitation, on ne peut pas cohabiter avec une usine de farine de poisson à cause de l’odeur nauséabonde qu’elle dégage», peste-t-il. Pour le coordonnateur du Conseil local de pêche artisanale (Clpa) de Cayar, ces usines encouragent la surpêche qui défavorise une bonne gestion des ressources halieutiques qu’il faut préserver. De ce fait, ledit collectif poursuit de très près le dossier introduit au ministère de la Pêche et de l’économie maritime par le promoteur de cette usine afin d’être en phase avec la règlementation. «L’usine fonctionne depuis 2 mois et dit être en phase test. Il n’a pas encore eu son agrément. N’ayant pas encore une autorisation de production, elle est dans l’illégalité.» Selon lui, les femmes transformatrices des produits halieutiques n’ont plus accès à ces ressources maritimes à cause de cette usine. «Les femmes transformatrices achetaient la caisse de poisson entre 5 et 7 mille francs, mais l’usine de farine de poisson est venue les concurrencer en l’achetant à 10 000 FCfa», déplore Mor Mbengue. Un sacré coup pour ces populations qui ne savent plus à quel saint se vouer.



Mis au banc des accusés, le directeur de cette industrie de fabrique de farine de poisson, contacté via son chargé de communication au 77 671…, est resté injoignable. Après avoir promis de nous rappeler hier matin (vendredi), son chargé de la communication ne nous est plus revenu. Toutes nos tentatives pour le joindre à nouveau ont été vaines.
    
«Aucune pathologie n’est liée à cette pollution déclarée pour le moment»
Au poste de santé de Cayar, l'infirmier-chef souligne qu'il n'a pas encore eu de patients qui se plaignent d’une quelconque maladie liée à cette pollution olfactive. «Pour le moment, je n’ai pas encore reçu de patients souffrant d’une quelconque pathologie liée à cette odeur dégagée par l’usine de farine de poissons.» 
SAER SY

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Publié par

Namory BARRY

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