Quand les victimes «d’enlèvement» se perdent dans leur synopsis mal inspiré  

mercredi 5 janvier 2022 • 1146 lectures • 1 commentaires

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Quand les victimes «d’enlèvement» se perdent dans leur synopsis mal inspiré  

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Des histoires à dormir debout élaborées par des fugueuses, dans le but de se donner bonne conscience, en se faisant passer pour des victimes d’enlèvements ou de rapts… Le phénomène qui a connu une ascension fulgurante en 2021, joue aux prolongations en 2022, avec la dernière affaire en date, relative à la disparition de l’étudiante de l’école supérieur polytechnique, Aïcha Ly, retrouvée en Côte d’ivoire.

GUINAW-RAILS - Une jeune basketteuse portée disparue réapparaît un mois plus tard à la.... police, la nuit
15 Septembre 2020 : B.K, âgée de 18 ans, passionnée de Basket-ball, pensionnaire de l'équipe-fanion de la commune de Thiaroye, disparaît subitement au retour de ses entraînements dans le camp militaire de la même commune. Sa famille craint le pire et déclenche une série de recherches avec l'appui des voisins. Tous les coins et recoins de la banlieue sont fouillés de fond en comble. L'affaire fait grand bruit à Pikine. L'amant de la basketteuse qui avait été éconduit par la famille de B.K, disparaît à son tour. La police de Guinaw-rails se saisit de ce cas de disparition que tout le monde présente comme un enlèvement. L'amant retrouvé, entendu à la police, est blanchi. La piste de l'amant abandonnée, la thèse de la fugue est de plus en plus privilégiée, après la révélation des relations heurtées que la basketteuse entretient avec sa mère. Ce que dément le père qui lance un appel pathétique aux présumés ravisseurs à travers la presse. Pendant quatre semaines, un groupe de jeunes volontaires regroupés dans un collectif mis sur pied spontanément, poursuit les recherches. 
15 Octobre 2020 : Coup de tonnerre à Guinaw-rails. B.K, la jeune basketteuse, réapparaît de son propre chef dans la nuit du mercredi 14 au jeudi 15 octobre 2020, à la police de Guinaw-rails. Portant un pantalon jaune surmonté d'un body blanc, elle ne présente aucun signe pouvant montrer qu'elle est perturbée. Face aux policiers, elle raconte avoir été kidnappée à la sortie du centre de formation Apix à Guinaw-rails, installée de force à bord d’un véhicule et obligée par ses ravisseurs à inhaler un produit qui l’a plongée dans un profond sommeil. Poursuivant, elle explique que ses ravisseurs l’ont conduite à Malika où elle a été séquestrée dans une maison en compagnie de plusieurs autres filles, toutes kidnappées. Son récit qui a bluffé les policiers, elle le termine en expliquant qu’elle a profité d’un moment d’inattention de ses ravisseurs pour s’enfuir de Malika et se rendre à la police de Guinaw-rails. 
La Thèse de l’enlèvement s’effondre comme un château de cartes, la jeune basketteuse rate le dunk
Basketteuse talentueuse, elle rate cette fois le panier. Son dunk, elle la loupe magistralement. En effet, les policiers qui ont relevé beaucoup d’incohérences, n’ont pas gobé sa thèse d’enlèvement qui s’écroule comme un château de cartes. Comment, pour une fille profondément endormie dans un véhicule, elle a pu découvrir que Malika est le lieu où ses ravisseurs l’ont acheminée ? Également le lieu d’enlèvement a varié. Aux premières heures de la survenue de cette affaire on a soutenu mordicus que c’est au terrain  d’entraînement de son équipe située dans le camp militaire de Thiaroye qu’elle a été enlevée, alors qu’à sa réapparition, elle a dit aux policiers que ses ravisseurs l’ont kidnappée à sa sortie du centre de formation situé dans le complexe de l’Apix à Guinaw-rails Sud 
KEUR MBAYE FALL : Le présumé kidnapping d’une femme mariée battu en brèche par le bornage de son téléphone
C’était un mois de janvier. C.K, mariée, est portée disparue. La thèse de l’enlèvement est vite agitée par ses proches. Deux jours plus tard, le vendredi 17 janvier, elle est retrouvée à Touba et cueillie par la police avant d’être acheminée à la section de recherches de la gendarmerie qui a hérité du dossier. Hélas, dans la narration de son prétendu enlèvement, la dame mariée n’avait pas compté avec l’avancée de la technologie. En effet, après une réquisition des opérateurs de téléphonie mobile de la place, les enquêteurs de la gendarmerie réussissent à confondre la dame par l’analyse de ses appels et le bornage de ses deux téléphones. Des analyses qui l’ont située d’abord à la Cité Lobatt Fall de Pikine où elle s’était rendue volontairement avant de rallier la ville sainte de Touba pour ensuite faire cap sur Linguère dans la région de Louga où elle est restée 24 heures. Le Rapt d’une femme mariée à Keur Mbaye Fall : Ce  titre qui avait barré la Une des journaux au lendemain de la disparition de C.K n’était pas avéré. Le dossier a fini au tribunal de grande instance de Pikine.
Le présumé kidnapping de 5 femmes qui n’était en réalité qu’une piscine-party au Lac Rose
Cinq femmes, dont deux mariées, qui disparaissent subitement, forcément, cela émeut toute la République. C’était à Touba, le vendredi 24 juillet 2020. Elles étaient sur la route pour aller se recueillir à la grande mosquée, lorsqu’à mi-chemin, un véhicule s’est immobilisé à leurs pieds pour proposer de les conduire au lieu de recueillement. Lorsqu’elles ont pris place dans le véhicule, des encagoulés se sont signalés à elles et les ont acheminées de force au Lac Rose à Niague dans la région de Dakar. Cette version qui a circulé à Touba et partout dans le pays, mobilise les forces de l’ordre qui se lancent à la recherche des cinq femmes. Leurs familles respectives multiplient les sorties dans la presse. Le pire est alors envisagé. Pendant que l’anxiété gagne le pays, elles étaient en train de se prélasser dans une auberge avec leurs amants au Lac Rose. On le saura hélas plus tard, lorsqu’elles réapparaissent subitement à Keur-Mbaye Fall, paraissant très éprouvées physiquement. Recueillies par une dame, elles ont été conduites à la brigade de gendarmerie de la Zone Franche Industrielle (Zfi), avant d’être acheminées à Touba où l’enquête s’est poursuivie. C’est l’une d’elles, le maillon le plus faible de la chaîne, qui a finalement craqué pour cracher le morceau. «Il n’y a jamais eu d’enlèvement, encore moins de Kidnapping», explique-t-elle, avant de livrer le nom de deux parmi elles qui ont tout planifié.
Pas que les femmes uniquement, les enfants aussi s’y mettent « 67 % des enfants fugueurs quittent leurs maisons pour fuir la violence »
Ce chiffre fourni par l’Ong « Secours Islamique » concerne essentiellement la banlieue et certaines localités de l’intérieur du pays. Hélas, ces enfants-fugueurs qui élisent domicile dans la rue sont exposés à toutes sortes de dangers. S’ils n’évoluent pas en bande ils sont recueillis par des pervers aguerris qui les initient à la drogue, à l’alcool ...Pourtant cela pouvait être évité, selon Biram Anta Sèye, le point focal de la société civile chargé du pôle «  Protection de l’Enfant », qui estime que dans «  notre société, on n’écoute pas les enfants, les adultes parlent et décident à leur place, ils choisissent alors de partir  pour s’exprimer ailleurs ».

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CHEIKHNA CHEIKH SADIBOU KEITA, COMMISSAIRE A LA RETRAITE : «Les premières pistes d’enquête sur les disparitions, enlèvements, fugues…»

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Ancien patron de l’office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), le commissaire, Cheikhna Cheikh Sadibou Keita, qui a consacré la majeur partie de sa carrière professionnelle dans la sécurité publique, a été confronté à moult cas d’enlèvement, de kidnapping, où de séquestrations qui se sont révélés être de simples fugues. Anecdotes à l’appui, l’ancien officier supérieur de la police passe au crible les contours de ce phénomène très actuel au Sénégal.
«Avec le recul et à la lumière de multiples affaires initialement articulées sur des faits de, séquestration, enlèvement…, on se doit de relever une constance : Tous les cas qui se sont révélés en réalité être des fugues planifiées, ont des soubassements et des modes opératoires totalement différents. Lorsque la police est saisie d’une dénonciation faisant état d’une disparition et qu’une enquête est ouverte, les agents en charge du dossier s’attèlent à cerner la personnalité de la victime, à travers une enquête de moralité. Parce qu’il est important de cerner la personnalité de la victime, avant de privilégier la thèse d’un enlèvement, d’une séquestration… Cette enquête de personnalité est d’autant plus importante qu’elle permet de relever fragilité de la personne, son trait de caractère, son équilibre psychique… Donc, il est important d’enquêter sur la vie, les habitudes, les fréquentations, les mœurs… de la victime. Après avoir reconstitué la personnalité, il faut s’attaquer au contexte qui précède la dénonciation», relève, le commissaire Keïta.
Poursuivant, l’ancien patron de l’Ocrtis déroule. «On a vu des femmes mariées disparaître sans donner de nouvelles et chercher ensuite à faire avaler aux proches la thèse d’un enlèvement ou encore d’un kidnapping. Curieusement, dans la plupart de ces cas, les enquêtes ont permis un retour sain et sauf des victimes qui, pour se donner bonne conscience, balancent toujours des histoires cousues de fil blanc. Ceci afin d’être vue comme une victime et bénéficier dans le même temps de la compassion des proches. Mais au final, les enquêtes parviennent à révèlent qu’en lieu et place d’un enlèvement, il est plutôt question d’une fugue savamment planifiée»,  souligne-t-il. Selon toujours le commissaire Keïta, il ne fait l’ombre d’aucun doute que, «les  dames (c’est l’échantillon analysé), qui disparaissent, pêchent toujours dans l’élaboration du synopsis qu’elles élaborent pour tenter d’expliquer leur disparition et réussir leur retour parmi les siens. C’est pourquoi, dès l’entame de l’enquête, les agents passent en revue la garde-robe de la victime. Cet exercice permet de comprendre le nombre et le type de tenues emportés par la victime. Cela paraît anodin, mais pour un enquêteur, ces détails pourraient servir de boussole pour comprendre les motivations de la victime, s’il s’avère qu’elle a fugué.  En sécurité publique, on est souvent confronté à des cas où la personne recherchée a disparu depuis plusieurs jours. Mais au terme de l’enquête, on se rend compte, preuve à l’appui, qu’il s’agit d’une fugue de surcroit motivée par une histoire de rancard, d’adultère, de virée en galante compagnie et que malheureusement, les choses tournent mal à cause d’une mauvaise gestion du timing. Parfois, il s’avère que la personne s’est endormie et s’est réveillée plusieurs heures après et qu’elle se retrouve dans une situation où elle se sent contrainte d’organiser son retour en jouant au scénariste. Elle crée un scénario dans lequel elle incarne une victime d’un enlèvement invraisemblable. Mais en piètre scénariste, elle pêche souvent dans l’agencement, le timing, la chronologie des faits… Ces failles sont parfaitement exploitées par les enquêteurs chevronnés qui parviennent alors à lui tirer le vers du nez», décrypte l’ancien commissaire de police. 


«Une femme mariée a fugué, laissant ses enfants… »
De ses années passées en sécurité publique, le commissaire Keïta se souvient particulièrement d’une affaire d’enlèvement qu’il a connu en qualité de commissaire de police et qui s’est révélée être une fugue. «Dans le métier qui est le nôtre, les anecdotes de ce genre, il y en a à foison.  Je me souviens qu’à Kolda, nous avons eu à connaître le cas d’une femme qui avait soudainement disparu, en laissant ses enfants et son mari au domicile conjugal. Elle est restée injoignable pendant plusieurs mois. L’enquête n’a pas permis de la retrouver. C’est finalement son mari qui est tombé nez-à-nez sur elle en Guinée Bissau. La poursuite de l’enquête a permis de savoir qu’elle avait fugué pour passer du bon temps avec un autre homme, au grand dam de ses proches qui pensaient qu’elle était morte. A Diourbel aussi, on a connu des femmes qui ont disparu à l’occasion d’une fête religieuse. Là aussi, l’enquête a révélé qu’elle n’avait jamais été enlevée», se souvient le commissaire Cheikhna Ch. S. Keita.
ALASSANE HANNE, DOUDOU DIOP                              

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Publié par

Namory BARRY

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