Reportage : Les lourdes conséquences de la fermeture, depuis 6 mois, du trafic entre la Guinée et le Sénégal

vendredi 9 avril 2021 • 1331 lectures • 1 commentaires

Économie 3 ans Taille

Reportage : Les lourdes conséquences de la fermeture, depuis 6 mois, du trafic entre la Guinée et le Sénégal

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Depuis bientôt 6 mois, la Guinée a fermé ses frontières avec trois de ses voisins, dont le Sénégal. Aujourd’hui, le maintien de la mesure a de lourdes conséquences pour les transporteurs, commerçants, populations et collectivités territoriales dépendant du trafic entre la Guinée et le Sénégal.

Abdoulaye Bah bout de rage. Après près de trois mois d’attente dans la ville de Koundara, à la frontière sénégalaise, ce transporteur habitué de la liaison entre la Guinée et le Sénégal, a dû rebrousser chemin pour rentrer à Labé. Le gingembre, le concombre et les autres légumes qu’il transportait se sont décomposés. Il n’a pu ramener que l’huile de palme, le miel et la semoule de manioc. «Il y a beaucoup de marchandises qui proviennent du Sénégal et de la Gambie, comme la mayonnaise, le beurre, le lait, les bouillons. En retour, d’autres produits agricoles quittent la Guinée pour les pays voisins, comme le chou, la pomme de terre, l’huile de palme ou bien le piment. À cause de la fermeture sans préavis, beaucoup de camions remplis de marchandises attendent des deux côtés une hypothétique réouverture. Toutes nos activités sont à l’arrêt depuis 6 mois. Et les conséquences sont désastreuses pour nos recettes», éructe-t-il. Cela fait bientôt 6 mois que la frontière est fermée entre le Sénégal et la Guinée. Une décision prise par le président guinéen, Alpha Condé, le 27 septembre 2020, avant la présidentielle qui a mené à sa réélection. Face à une délégation conjointe de la Cedeao, de l’Union africaine et de l’Onu reçue au palais présidentiel Sékhoutouréya, le 1er octobre, Alpha Condé avait évoqué des raisons «d’ordre sécuritaire». Il accusait le président bissau-guinéen, Umaro Sissoko Embalo et le vice-président sierra-léonais, Mohamed Juldeh Jalloh, de manœuvrer pour introduire en Guinée des populations recrutées sur une base communautaire afin de perturber le vote. Alpha Condé reprochait également au Sénégal de Macky Sall de ne pas donner suite à sa proposition d’organiser des patrouilles mixtes entre leurs deux pays, pour empêcher des «infiltrations mal intentionnées». Depuis, les frontières sont unilatéralement fermées. Une situation incompréhensible pour les commerçants et les transporteurs de part et d’autre, durement touchés.

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«Le trajet, à travers les pistes de brousse pour rejoindre le Sénégal, est passé de 2 000 à 15 000 FCFA»

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Ce jeudi, l’horloge affiche 9 heures à Kalifourou, localité située dans la commune de Linkéring dans le département de Vélingara. Naguère grouillante  de monde à cause de sa proximité avec la République de Guinée (30 Km) et les échanges entre les deux pays, aujourd’hui, l’ambiance à la frontière est morose. Notamment au niveau du marché et de la gare routière où la plupart des acteurs venaient de la Guinée. Un marché et une gare routière qui accueillaient plusieurs dizaines de taxis-brousse assurant le trafic entre ces deux pays. Mais depuis la fermeture de la frontière du fait de la pandémie à Coronavirus et de la mesure prise par le Président guinéen Alpha Condé, Kalifourou est aujourd’hui une ville morte. Si certains chauffeurs ont finalement décidé de prendre d’autres destinations, les commerçants eux se sont terrés tranquillement chez eux, faute de clients. «En Guinée, les populations guinéennes venaient tous les jours à Kalifourou pour s'approvisionner ici au Sénégal et rentrer le même jour. Malheureusement, aujourd’hui, comme vous pouvez le constater, toutes les boutiques sont fermées.» D'ailleurs, poursuit-il, «si, avant la fermeture de la frontière, chaque matin, plus de 10 véhicules pleins étaient en partance pour  la Guinée, aujourd’hui, certains chauffeurs sont obligés d’emprunter une autre destination», confie un conducteur de taxi brousse sénégalais. Pour contourner la mesure, les Guinéens prennent le risque de passer par les pistes, à bord de mototaxis jusqu’au niveau des frontières pour rejoindre le Sénégal. «Avant la fermeture, la course revenait à 2 000 FCFA, aujourd’hui, le trajet nous revient entre 10 et 15 000 FCFA», a expliqué le chauffeur de taxi. Zeynabou Diallo est aussi une victime collatérale de cette fermeture. La dame, restauratrice, pleure les centaines de millions de francs guinéens perdus par l’économie depuis la décision du Président Condé de fermer ses frontières avec le Sénégal. «Les chauffeurs, commerçantes et populations des deux pays souffrent. Certains chauffeurs, membres d’équipage et leurs apprentis meurent de faim à cause du manque de nourriture et le bilan pourrait dépasser celui de l’épidémie à Coronavirus», témoigne la restauratrice qui soutient qu’elle préparait plus de 10 kilos de riz par jour, alors qu’aujourd’hui, elle ne peut même pas vendre un kilo de riz. Boly Diallo, boutiquier, embouche la même trompette. «Il n’y a plus de rentrée ni de sortie pour les deux peuples. Nous souffrons beaucoup parce que notre travail est bloqué et c’est l’argent gagné dans cette activité qui me permettait de subvenir aux besoins de ma famille», geint-il. Selon lui, des deux côtés, les populations commencent à ressentir les contrecoups de la fermeture de la frontière. «La situation est de plus en plus intenable. Et nous perdons chaque jour espoir de voir les frontières rouvertes.»


«Faute de pouvoir rentrer chez eux, certains transporteurs guinéens sont obligés de cohabiter avec les animaux dans le parc national de Niokolo-Koba»


Aujourd’hui, si l’espoir de voir la frontière guinéenne rouvrir s’amenuise, le coût de la vie, en revanche, n’a fait que croître dans cette ville très dépendante du voisin sénégalais. «Le prix du haricot qu’on achetait pour le petit-déjeuner est passé de 2 000 à 5 000 francs guinéens, ce n’est plus tenable. Si cette situation perdure, nous ne tiendrons plus et notre économie sera plongée dans l’agonie», témoigne Abdoulaye Bah. Combien de commerçants sont bloqués de part et d’autre de la frontière ? «Impossible à dire. On ne peut ni les compter, ni chiffrer les pertes, à ce stade. Ce qui est certain, c’est que les commerçants en souffrent énormément», répond Thierno Diallo. Aldiouma Boiro, maire de Linkéring, rajoute une couche : «La commune de Linkéring est dans des difficultés depuis presque 6 mois. Toutes nos activités sont bloquées, particulièrement à Kalifourou, une halte presque obligée entre les régions de Tamba et Kolda, mais également de la Guinée Conakry. Les populations vivent de ce trafic entre le Sénégal et la Guinée. Malheureusement, la frontière est fermée, immobilisant les véhicules depuis un an. Aucune activité n’est menée. Les gros porteurs sont là, stationnés. Certains commencent à se rouiller à cause du long stationnement. Le trafic qui se faisait entre le Sénégal et la Guinée est arrêté et le manque à gagner est énorme. Le niveau de vie des populations a sensiblement baissé et la mairie ne fait plus de recettes.» Pour ne pas arranger les choses, des cas des maladies sont recensés chez certains transporteurs, exposés à une pénurie d’eau et de nourriture. «A côté des marchandises qui pourrissent, on a noté également des cas des maladies de certains transporteurs et de leurs apprentis, exposés à une pénurie d’eau, d’électricité et de nourriture. Faute de pouvoir rentrer chez eux, ils sont obligés de cohabiter dans le parc national de Niokolo-Koba avec les animaux. Ce qui constitue une flagrante violation des règles de libre circulation des personnes et des biens dans l’espace de la Cedeao», termine un commerçant guinéen.


ENCADRE - MANSOUR FAYE, MINISTRE DES INFRASTRUCTURES ET DES TRANSPORTS TERRESTRES : «Des solutions seront apportées d’ici quelques temps»
«Nous avons constaté à Kalifourou des transporteurs bloqués depuis plusieurs mois. Des solutions seront apportées d’ici peu. Toutes les questions agrégées et développées par les autorités (chef de village de Kalifourou et maire de Linkéring) concernant la logistique nécessaire et la santé seront transmises au ministre de la Santé pour que des solutions puissent être apportées. Avec l’accompagnement des autorités de l’administration territoriale, nous allons recueillir l’ensemble de vos préoccupations afin d’y apporter des solutions dans les meilleurs délais.» 
PAPE OUSSEYNOU DIALLO

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Publié par

Namory BARRY

admin

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