Sénégal : Le déclin d'anciennes troupes de théâtres

samedi 26 septembre 2020 • 1109 lectures • 1 commentaires

Culture 3 ans Taille

Sénégal : Le déclin d\'anciennes troupes de théâtres

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Elles ont fait les beaux jours du théâtre sénégalais. ‘’Daaray Kocc’’, ‘’Diamoney tay’’, ‘’Soleil Levant’’, ‘’Djankeen’’, ‘’Royou-kaay’’ ou encore ‘’Cercle du Cayor’’, n’existent plus que de noms. Après avoir révélé des icônes en leur sein, ces troupes de théâtre sont aujourd’hui presque toutes en déliquescence. Les mutations du secteur et l’avènement des maisons de productions ont précipité leur «mort» programmée. Diagnostic de ces troupes en perte de vitesse… 

CHEIKH SECK, DIRECTEUR GENERAL DE ‘’DJANKEEN MEDIA PROD’’ : «La troupe en tant qu’entité ne fonctionne plus»

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Petite barbe blanchie, Cheikh Seck, Directeur général du label ‘’Djankeen Média Prod’’ respire la grande forme. La soixantaine révolue, cet enseignant de formation a su se faire un nom dans le monde du théâtre. Fondateur de ‘’Djankeen’’, il reconnaît sans difficulté que cela fait peut-être 7 ans que les membres de sa troupe théâtrale ne se sont pas réunis autour du même projet artistique. Par contre, individuellement, certains apparaissent dans des séries télévisées. «La troupe en tant que telle ne fonctionne pas. Je gère le label ‘’Djankeen Média Prod’’. Serigne Ngagne fait cavalier seul. D’ailleurs, il emploie les artistes-comédiens de la troupe ‘’Djankeen’’ dans la série ‘’Mbettel’’ pour qu’on ne les oublie pas. Mais la troupe en tant qu’entité ne fonctionne plus. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il y a une animosité entre nous», laisse-t-il entendre. Poursuivant, il explique que tous les projets artistiques vivent et meurent parce que les gens grandissent et ont des responsabilités familiales énormes. «Ils sont devenus des pères et des mères de famille. On ne peut plus les canaliser par rapport aux répétitions. C’est moi qui ai créé ‘’Djankeen’’, mais aussi je suis sorti le premier. Je ne pouvais plus continuer à me plier aux sentiments des uns et aux exigences des autres. Il y avait trop de contraintes», fait-il savoir. Toutefois, révélation de taille, ils sont en train de travailler à reconstituer la troupe. Selon lui, «Oumar Seck qui était en Espagne est revenu. Moussa Seck était aussi en France. Ndiambé Sène, Ndèye Sine, Serigne Ngagne sont ici. On discute. On va travailler sur le format de l’Equipe nationale de football. Quand ‘’Djankeen’’ a un projet, on discutera des cachets et les comédiens seront payés en fonction de cela. Ils pourront aller faire autre chose.» 

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PAPE DEMBA NDIAYE, «DAARAY KOCC» : «Nous existons toujours, nous sommes en hibernation depuis 2012»


«La troupe ‘’Daaray Kocc’’ existe toujours, même si nous sommes en hibernation. C’est vrai que nous n’avons pas produit depuis 2012. Et notre dernière pièce, c’est ‘’Aay gaaf’’. Avant, nous produisions deux cassettes en deux parties et nous les commercialisions ensuite. Entre-temps, il y a eu une mutation dans le domaine cinématographique. Et à ce moment, j’occupais de grandes responsabilités à La Poste où je travaillais. Je ne pouvais pas concilier mon travail à La Poste et le théâtre. Aujourd’hui que je suis à la retraite, les choses ont changé. Il me faut un temps d’adaptation pour relancer les choses. Il faut revoir les modes de financement, les scénarii parce que c’étaient des pièces d’une à deux heures. Aujourd’hui, les gens font des séries. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas faire ce que nous faisions auparavant. Les artistes-comédiens m’ont attendu pendant tout ce temps-là. Dans tous les cas, j’ai toujours soutenu qu’on va vers la mort des troupes théâtrales. C’est tout à fait normal. On est arrivé à un moment où les productions sont plus proches du cinéma que du théâtre sur scène. Et qui dit cinéma dit casting, parce que le producteur peut aller chercher les profils qui l’intéressent ailleurs. Les gens n’ont plus le temps de faire des répétitions. Le réalisateur n’a même pas besoin de comédiens professionnels. Cela a commencé avec ‘’Un café avec…’’ On voit des chanteurs, des danseurs, des mannequins, des animateurs entre autres… Les producteurs sont plutôt intéressés par l’argent. On est dans un milieu où les gens font du business. C’est pourquoi dans les castings, on copte même des célébrités pour attirer les sponsors. C’est la mort programmée des troupes théâtrales. Et je voyais venir depuis longtemps. C’est faire un mauvais procès à ces gens-là en disant qu’ils ont tué les troupes. Je l’avais d’ailleurs commencé parce que quand on tournait ‘’Laye Sangara’’, j’ai recruté quelqu’un qui n’était pas de ‘’Daaray Kocc’’. C’est devenu plus large parce que les gens cherchent des Miss, des mannequins et autres célébrités qui n’ont jamais fait du théâtre. A vrai dire, les belles filles attirent. C’est pourquoi on les recrute lors des castings. Il faut l’accepter parce que les troupes sont appelées à disparaître.» 


LAMINE NDIAYE, «DIAMONEY TEY» : «Nous avons arrêté la production»


«‘’Diamoney tey’’ a arrêté la production. Je réfléchissais sur une nouvelle production que je n’ai pas encore terminée. Feu Abou Camara était même dans cette production. Cela a affecté bon nombre de nos artistes comédiens, surtout les femmes. Nous n’avons pas pu les regrouper. Il va falloir revoir tout cela. Et cela nécessite un recrutement et des formations. J’ai envie de reprendre ‘’Diamoney tey’’. Nous n’avons pas le droit de laisser cet héritage. Ne serait-ce que pour rendre hommage à Aboulaye Seck. Aujourd’hui, avec les acteurs qui préfèrent jouer en free-lance, nous sommes beaucoup critiqués.  Personnellement, je condamne cette dispersion. Les anciens doivent composer avec les jeunes pour leur montrer la voie en participant dans leurs productions. Mais certains disent que nous avons fait notre temps et que nous devons laisser la place aux jeunes. Beaucoup de gens revendiquent la démarche de la nouvelle vague avec des critiques acerbes et virulentes envers les anciens. Cela nous fait un peu mal, surtout que d’aucuns ne veulent même pas parler avec les anciens.»  


CHEIKHOU GUEYE SA NEKH, DIRECTEUR ARTISTIQUE «SOLEIL LEVANT» : «On ne peut plus nous enfermer dans la troupe, même si elle reste notre priorité»


«Depuis avril 2018, nous n’avons pas fait de productions, mais cela ne signifie pas que la troupe ‘’Soleil Levant’’ ne fonctionne pas. Nous sommes d’ailleurs en train de faire passer sur la Tfm la bande annonce de notre série ‘’Le choix’’. Le 1er épisode doit passer le 9 octobre. Il y a de lourdes charges à supporter en termes de salaires, de location de maisons pour les tournages et de logistique, notamment les voitures. C’est en moyenne des émoluments de 10 millions de FCfa qu’il faut sortir chaque fin du mois. Nous avons aussi des contrats à honorer auprès de certains producteurs. Il y a une ouverture du théâtre qui fait que les artistes-comédiens jouent dans plusieurs séries au détriment de leur troupe. Quand on a besoin d’un profil, on va le chercher ailleurs. On ne peut plus enfermer Cheikhou ou Aziz Niane pour leur dire que vous ne devez jouer que pour ‘’Soleil Levant’’. Le Label Marodi n’a pas de troupe. Et il produit une bonne partie des séries télévisées. C’est quelqu’un qui vient de la France et qui a investi le milieu. Il recrute beaucoup de jeunes qui n’ont jamais fait du théâtre et ça passe. Il n’y a aucun mal pour un artiste-comédien de faire le ‘’bucheron’’. Si Abdoulaye Diouf sollicite mes services, je jouerai pour lui, même s’il ne me paie pas. Les artistes-comédiens ne sont pas liés par leur troupe. On peut jouer ailleurs et revenir. Mais ‘’Soleil Levant’’ reste une propriété de Cheikhou, Aziz et Cheikh Ndiaye.»   


ALIOUNE AÏDARA, PRESIDENT TROUPE ROYOU KAAY’ : «Nous avons presque les deux genoux à terre»


«Nous avions signé un contrat avec le producteur Moustapha Diop pour une durée de 3 ans. Nous étions soumis à son programme. C’est ce qui a particulièrement bloqué les activités de la troupe. Le contrat est arrivé à expiration depuis le mois d’août dernier. Ce contrat a, en vérité, bloqué l’envol de la troupe parce que nous n’avions pas la possibilité de jouer ailleurs. Bon nombre de producteurs donnent l’impression d’aider les artistes-comédiens. Mais ils travaillent plutôt à leur chute et à la dislocation des troupes de théâtre. Parce que ce n’est pas la troupe qui signe, mais les artistes-comédiens dans leur individualité. Les promoteurs tirent leur épingle du jeu. Mais ils ne respectent pas les clauses du contrat, même s’ils ont des sponsors. La troupe est en train de se reconstituer. Je reconnais que c’est difficile parce qu’on a presque les deux genoux à terre.» 


WALY SENE, ACTEUR-COMEDIEN «CERCLE DU CAYOR» : «Nous n’existons que de nom…»


«Le ‘’Cercle du Cayor’’ a été créé en 1994 par Lamine Sidibé qui est aujourd’hui en Italie. C’est une association culturelle. Bon nombre de nos acteurs sont partis en voyage. Ceux qui sont sur le territoire national ont leur propre agenda culturel. Les gens que nous avions formés pour la relève ont tracé leurs voies. La troupe n’existe que de nom, mais il n’y a plus d’activités. Des artistes-comédiens comme Cheikh Ndiaye, Cheikhou Guèye Sa Nekh, Aziz Niane… nous ont tous pratiqués. Aujourd’hui, je ne pense pas que les troupes de théâtre puissent continuer à exister. On est dans un contexte où les artistes-comédiens privilégient le travail en free-lance. Je joue partout notamment dans la troupe ‘’Soleil Levant’’. Ce n’est pas exclu que les acteurs du ‘’Cercle du Cayor’’ se retrouvent. En vérité, les artistes-comédiens ne se retrouvent plus dans les troupes de théâtre. Quand vous leur demandez dans quelle troupe ils sont, cela les fait rire. Parce qu’ils sont devenus des mercenaires. Ils jouent partout pour pouvoir assurer leur survie. Quand un promoteur a un projet, il fait appel aux profils qui l’intéressent. Il paie ses recrues qui jouent et qui vont ensuite ailleurs à la fin du contrat. Ce sont des gens qui ont évolué dans les troupes depuis 20 ans et qui ne voient pas le bout du tunnel. C’est pourquoi ils ne veulent plus être enfermés dans des troupes au risque de voir leur liberté assujettie. Il est plus rentable de signer avec un promoteur qui peut vous payer votre salaire pendant un an que d’être dans une troupe où l’on est obligé de tirer le diable par la queue.»


OUSSEYNOU MASSERIGNE GUEYE

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Publié par

Namory BARRY

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