Tribunal de Dakar, l'enfer des salles d'audience

jeudi 7 octobre 2021 • 1405 lectures • 1 commentaires

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Tribunal de Dakar, l\'enfer des salles d\'audience

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Un fait inédit s’est produit hier, au tribunal de Dakar. A cause d’une chaleur suffocante qui prévalait au prétoire de la salle 4 dépourvue de climatiseurs fonctionnels, 10 des 11 dossiers enrôlés ont été renvoyés. Une mesure qui a impacté le procès de la dame, Aïda Mbacké poursuivie pour l’assassinat de son mari, Khadim Ndiaye. Les acteurs de la justice interpellent la tutelle. 

Magistrats, avocats et autres acteurs du palais de justice de Dakar n’en peuvent plus de la chaleur suffocante qui prévaut depuis quelque temps dans différentes salles d’audience du tribunal de grande instance de Dakar. L’image illustrant cette situation cauchemardesque n’est guère reluisante. Des détenus compactés dans le bloc des accusés qui suent à grosses gouttes, des avocats et magistrats contraints d’utiliser leur robe pour essuyer constamment la sueur qui trempe leur visage et des objets de fortunes utilisés par l’assistance pour s’offrir un semblant d’air frais. C’est devenu le lot quotidien des usagers des prétoires au palais de justice de Dakar. La faute à un système de climatisation défectueux depuis belle lurette et qui peine à être rétabli. 

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Comment en est-on arrivé à cette situation
Des difficiles conditions de travail qui ont failli virer au drame. Sous le poids de cette chaleur à la limite du soutenable, un membre du parquet a récemment fait l’objet d’un malaise et est tombé en syncope en pleine audience au tribunal des flagrants délits. 
Hier, on a frôlé une scène similaire dans la salle d’audience de la chambre criminelle. Pour parer à toutes éventualités, les juges ont convenu de renvoyer 10 des 11 dossiers pourtant enrôlés et en état d’être jugés. Parmi ces dossiers très attendus, figure celui de la dame Aïda Mbacké, accusée d’avoir brûlé vif son époux, Khadim Ndiaye, en 2018. La suspension d’audience est survenue au terme de l’évocation au fond du premier dossier, portant vol. L’un des assesseurs (une dame) qui, visiblement ne se sentait pas bien, souffrant de cette chaleur, a sollicité la suspension de l’audience pour quelques minutes. De retour dans la salle d’audience, les juges ont demandé aux avocats d’être plus concis dans leur plaidoirie. Une requête que les robes noires n’ont pas trouvé opportune. Ainsi relèvent-ils que, pour un procès équitable, ils ne peuvent se permettre de «bâcler» leur stratégie de défense. Ils ont donc sollicité du tribunal le renvoi de l’audience. Après concertation avec les magistrats, le juge a décidé de renvoyer l’ensemble des 10 dossiers qui devaient être jugés à la date du 3 novembre prochain. 

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«A cause de la chaleur, nous sommes obligés d’utiliser nos documents comme éventail»


Au sortir de cet incident inédit, des avocats et magistrats se sont prononcés pour dénoncer les mauvaises conditions de travail qui entravent la bonne marche de la machine judiciaire. Ces auxiliaires de la justice ont en sus tiré la sonnette d’alarme, exigeant des autorités étatiques d’apporter des solutions concrètes et durables aux difficiles conditions de travail au palais de justice de Dakar et du Sénégal. Selon Me Aboubacry Barro, l’un des avocats de l’accusée, Aida Mbacké, «il est inconcevable en 2021, au Sénégal, que des dossiers criminels en état d’être jugés, soient renvoyés pour cause de difficiles conditions de travail. A cause de la forte chaleur qui prévaut dans les salles d’audience, souvent bondés de monde, nous sommes obligés d’utiliser nos documents comme éventail. Que dire du sort des accusés. Imaginez un détenu qui s’attend à être jugé et qu’on informe qu’il va devoir encore rester en prison, parce que le système de climatisation est défectueux. C’est d’autant plus inquiétant que ces détenus ont des droits. La situation est pire au tribunal départemental de Pikine-Guédiawaye, où plusieurs juges se partagent un bureau, sans compter l’étroitesse des salles d’audience.»  


«Des magistrats ont acheté leur propre ventilo pour contenir la chaleur»


Un magistrat du siège qui a préféré gardé l’anonymat n’y est pas allé de main morte. A bâton rompu, il a exprimé son courroux. «Les conditions de travail sont d’une autre époque. La situation est encore plus alarmante dans les régions de l’intérieur du pays. A la Cour d’Appel de Saint-Louis, les responsables de la sécurité civile avaient alerté sur les risques d’effondrement de la bâtisse. A Dakar, nous sommes obligés de cumuler certaines audiences à cause d’un sous-effectif. On enchaîne les audiences de flagrants délits, de la chambre criminelle, du tribunal correctionnel… Avec la climatisation défectueuse, plusieurs juges ont acheté leur propre ventilateur pour faire face à la chaleur qui prévaut, parfois nous utilisons des dossiers comme éventail. Tout ceci concourt à ternir davantage l’image de la justice sénégalaise qui ne mérite pas un tel traitement», a dénoncé ce magistrat. 


«Récemment un membre du parquet est tombé en syncope en pleine audience»
Sous son grand boubou trempé de sueur, la célèbre avocate, Me Ndèye Fatou Touré, ne cache pas sa désillusion. «Les conditions humainement décentes ne sont pas réunies. Des magistrats sont contraints d’acheter eux-mêmes des ventilateurs pour subsister dans les salles d’audience. C’est inadmissible, révoltant et honteux. Tous les jours on parle de la justice, alors qu’elle poursuit son œuvre dans des conditions  exécrables. La gouvernance actuelle de la justice sénégalaise est mauvaise. Le matériel et les infrastructures font défaut. Quand elles existent elles sont mal entretenues. Aujourd’hui, le tribunal d’instance de Dakar fonctionne avec moins de quatre magistrats. C’est un scandale. Il n’y pas longtemps, un membre du parquet est tombé en syncope en pleine audience», pilonne-t-elle. 


Le ministère parle de vols, d’actes de sabotage et promet des armoires de climatisation dès ce matin


Contacté, le ministère de la justice a apporté des réponses sur cette situation qualifiée de «scandaleuse et honteuse». Selon la chargée de la communication, Bineta Ndong, «il y a eu plusieurs cas de vols de pièces au niveau du système central de ventilation. Ceci a occasionné une défaillance du système. Le central qui ventilait la climatisation dans les salles d’audience a eu des soucis. Après enquête, on s’est rendu compte que c’était un acte de sabotage qui a occasionné cette panne. Pour pallier provisoirement à la situation, le ministère a acquis des armoires de climatisation. Dès demain matin (aujourd’hui), toutes les dispositions seront prises pour que la situation revienne à la normale. Une enquête est d’ailleurs en cours pour identifier les auteurs de ce sabotage», a expliqué Mme Ndong.   
DOUDOU DIOP     

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Publié par

Namory BARRY

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