Victimisation, les dessous d’une stratégie politique trompe-l’œil

mardi 24 novembre 2020 • 358 lectures • 1 commentaires

Politique 3 ans Taille

Victimisation, les dessous d’une stratégie politique trompe-l’œil

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Critiqués, accusés, blâmés, lorsqu’ils occupaient des postes de responsabilité étatique, nombre de personnalités politiques se voient «blanchies» par l’opinion publique au gré d’une dissidence au Pouvoir. Un constat qui suscite plusieurs interrogations. Psychologues, sociologues et analystes politiques décortiquent ces nouvelles postures d’une partie de la population face à ces déchus du pouvoir.

Elle est la dernière d’une liste de dissidents du pouvoir, de politiques défenestrés ou en fin de gestion, qui passent pour des héros aux yeux des Sénégalais. Accusée de diableries de toutes sortes, alors qu’elle avait en charge le ministère de la Justice, Aminata Touré a toujours été considérée comme le bras armé de Macky Sall. Celle qui est chargée d’effectuer le sale boulot dans la guerre entre les Wade et Macky Sall qui, après son accession à la magistrature suprême, aurait voulu instaurer une sorte de justice des vainqueurs. Une revanche supposée contre ses «bourreaux politiques» et leurs affidés, menée au nom de la reddition des comptes et emballée dans le concept à charge de traque des biens mal acquis. La Cour de répression est réactivée, le procureur dresse la liste de 25 personnalités, mais seul le fils de l’ancien chef de l’Etat passera en jugement. Entre-temps, la «dame de fer», comme on l’a surnommée, a été même promue Premier ministre, en remplacement de Abdoul Mbaye. Puis Envoyée spéciale du chef de l’Etat, avant d’être portée à la tête du Conseil économique, social et environnemental. Mais par la force du pouvoir discrétionnaire du Président, Aminata Mimi Touré s’est retrouvée, depuis le 1er novembre dernier, de l’autre côté de la scène. Choquée, selon quelques indiscrétions, par son limogeage du Cese au profit du président du parti «Rewmi», Idrissa Seck, Aminata Touré ne donne pas l’autre joue devant les sorties de son successeur. Flairant une campagne de dénigrement contre sa personne, elle répond du tic au tac aux accusations. L’ancienne présidente du Cese qui répugnait à participer au débat public, axe désormais ses communications sur les faits de société, notamment l’émigration irrégulière qui a fait des centaines de morts en quelques semaines. Des actes qui lui font gagner de plus en plus de sympathie auprès de la population sénégalaise qui semble aujourd’hui absoudre l’ancienne ministre de la Justice de toutes ses fautes politiques. Méprisable hier, Mimi Touré passe aujourd’hui pour une héroïne.

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«La perception de l’opinion déterminée par la tournure des événements»

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Mais avant elle, d’autres avaient reçu leur visa d’absolution grâce à leur dissidence au Pouvoir. C’est le cas de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Macky Sall, qui a été poussé à la démission en 2008, pour avoir autorisé la convocation de Karim Wade à l’Hémicycle, pour une audition sur les travaux de l’Anoci. Une disgrâce qui a été à l’origine de son ascension, quatre années plus tard, au Palais de la République. Idrissa Seck est aussi passé par là. Longtemps N°2 du Parti démocratique sénégalais (Pds), il entre en disgrâce et est accusé d’avoir détourné 44 milliards de Fcfa dans le cadre de l’affaire dite des chantiers de Thiès dont il était le maire à l’époque. Son incarcération en 2005 avait ému plus d’un. Un coup de grâce que le tribun a su détourner à son avantage. A la Présidentielle de 2007, il finit deuxième, derrière Abdoulaye Wade, avec 14,86%. Karim Wade, le fils jadis contesté pour les superpouvoirs que le père lui avait confiés, avait engrangé un fort degré de compassion après sa condamnation.


Interpellé sur ce phénomène très sénégalais, le psychologue Khalifa Ababacar Diagne souligne d’emblée que ce n'est pas une question de mémoire sélective, mais de perception qui change en fonction de la variation de la position de l'homme politique. Selon qu'il soit responsable au cœur du pouvoir ou victime propulsée dans l'opposition. «La posture de responsable au niveau de l'Etat est plus inconfortable, car vous êtes constamment jugé à travers vos actes. Alors que si vous n'êtes plus aux responsabilités, vous êtes épargné des critiques. Tout se juge selon la perception de l'opinion, laquelle perception est souvent déterminée par la tournure des événements», analyse le psychologue-conseiller. Et la nouvelle perception que l’opinion a de ses dissidents est, de l’avis du sociologue Kaly Niang, le résultat de leur auto-victimisation. Une attitude qui, selon lui, trouve son sens dans une tentative malheureuse de refouler un sentiment traumatique lié au vécu personnel. «Au Sénégal, il existe une certaine conscience collective qui perpétue des clichés et stéréotypes fondés sur le dévouement de la Mère dans le domicile conjugal «ligeyu ndeey» qui est l’ascenseur social le plus rapide pour arriver au sommet. De ce fait, une déchéance attendue ou inattendue devient difficilement acceptable. Ce qui fait naître un sentiment de honte vis à vis de soi-même et vis à vis des autres. Cette frustration relative fait naître chez l’individu un sentiment de déclassement qui pourrait être un terreau pour la révolte. L’autorité politique qui tombe de son piédestal a souvent tendance à analyser les situations de manière bipolaire, estimant que les bonnes choses qui lui arrivent sont méritées, mais en revanche, les mauvaises sont vécues comme injustes. Sous un autre registre, notre société, comme toutes les sociétés africaines, a tendance à porter un regard complaisant pour une haute autorité déchue et oublie très rapidement les faits ou les accusations fondées ou non, pour lesquels il a été démis. Nous l’avons remarqué dans les années 1960 avec le feuilleton Senghor et Mamadou Dia. Dans les années 1990 avec Abdou Diouf, Djibo Ka et Moustapha Niasse. Dans les années 2000 avec Abdoulaye Wade et Idrissa Seck puis Macky Sall. Quelques années après avec les affaires Karim Wade et Khalifa Sall et aujourd’hui, il y a le cas Aminata Toué, limogée du Cese. Ceci pour dire que la politique au Sénégal est faite de hauts et de bas, de ruses et de tromperies. Les situations politiques sont changeantes et obéissent à des logiques instrumentales pour l’atteinte d’un but ou d’une finalité», explique le sociologue Kaly Niang.


«Cela rentre dans le jeu des rapports sociaux et culturels»


Enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, le Professeur Moussa Diaw fonde cette victimisation sur la position de faiblesse dans laquelle ces personnalités se trouvent après avoir été écartées du Pouvoir. Devant cette position de fragilité politique, la dimension culturelle entre en jeu. «Cela rentre dans le jeu des rapports sociaux et culturels. C’est spontané. Quand on est dans une situation de détresse, on bénéficie souvent du soutien des citoyens. L’opinion est très sensible à des situations de détresse. Certains l’ont utilisée comme ressource politique pour rebondir par la suite. Macky Sall l’a utilisée et cette victimisation lui a servi de ressource politique pour revenir en force et devenir aujourd’hui président de la République. Tout comme Idrissa Seck par la suite, pour rebondir», explique Moussa Diaw. Une thèse partagée par le psychologue-conseiller Khalifa Ababacar Diagne. «Du point de vue psychologique, les êtres humains ont la propension à manifester émotionnellement de la sympathie pour les plus faibles, ceux-là qui apparaissent comme des victimes. Les hommes politiques sous nos cieux le comprennent si bien qu'ils ont tendance à surfer sur leur limogeage pour manipuler les populations aux fins d'être perçus comme des victimes. Même s'ils n'ont pas toujours raison. Les populations, quant à elles, face à l'injustice dont est victime le banni, se croient investies d'une mission divine de justicier. Elles ne seront ainsi satisfaites et soulagées que quand elles parviendront à réparer l'injustice. L'exemple typique dans notre histoire récente se trouve dans le parcours du Président Macky Sall qui l'a mené à la magistrature suprême», ajoute M. Diagne, précisant que ce ne sont pas tous les limogeages qui provoquent de la sympathie ou mettent la personne en situation de victime.


«Les médias jouent un effet d’amplification de la victimisation»


Dr Mor Faye, sociologue des médias et la communication et enseignant à l’Ugb, juge cette stratégie payante. Et les hommes politiques qui en sont bien conscients en font recours pour rebondir après avoir subi une purge. «Nous avons une opinion émotive, Les gens n’aiment pas l’injustice, souligne-t-il. Ils n’aiment pas avoir le sentiment que quelqu’un se fasse brutaliser pour ses idéaux. Les gens instrumentalisent la victimisation pour gagner en notoriété et en sympathie aux yeux du public. Certains disent que quand on vous met en prison ou en situation très défavorable de victime, vous pouvez gagner trois ou quatre points de notoriété de plus. Les personnalités politiques qui maîtrisent la psychologie des populations jouent sur cela et prennent parfois l’opinion publique à témoin pour se déculpabiliser ou se justifier. Et les hommes politiques le savent. Le fait que Wade soit plusieurs fois emprisonné étant opposant a forcément eu un impact sur sa notoriété. Cela l’a toujours fait passer pour une victime qui voulait faire quelque chose pour le pays et à qui on empêchait d’accéder au Pouvoir et cela le rendait de plus en plus populaire. Ce qui a fait qu'à un moment donné, il était devenu le Président de la rue publique. Il y a eu Idrissa Seck, Macky Sall, Karim Wade. Les gens s’engouffrent dans ces voies ouvertes depuis un demi-siècle de vie politique au Sénégal». Cette victimisation est amplifiée par les médias. «A chaque fois que les gens se sentent victimes de quelque chose, leur réflexe ce sont les médias, affirme-t-il. Les médias jouent un effet d’amplification de la victimisation.» Et ce n’est pas peut-être pas leur rôle ?


AIDA COUMBA DIOP

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Publié par

Namory BARRY

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