Cheikh Niasse, la choquante histoire d'une vie tombée en prison

vendredi 1 octobre 2021 • 2415 lectures • 1 commentaires

Société 2 ans Taille

Cheikh Niasse, la choquante histoire d\'une vie tombée en prison

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La vie de Cheikh Niass qui s’est arrêtée le 28 septembre 2021, dans des conditions troubles, alors qu’il était en détention, n’a pas été facile. L’homme n’a mené que des combats pour protéger sa famille.

Il n’arrivera jamais à sa destination. Touba devrait être son point de chute, après qu’il avait quitté la France pour célébrer le Magal dans la cité religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Mais, c’est de la morgue de l’hôpital Aristide le Dantec qu’il sera transporté vers le cimetière de Cambérène où il sera enterré. Cheikh Niass, émigré sénégalais établi en France depuis plus d'une dizaine d'années, est décédé le 28 septembre 2021, dans des conditions jugées troubles dans les liens de la détention à la prison du Cap Manuel de Dakar. S’il s’est retrouvé entre les mains de justice alors qu’il voulait se rendre à Touba, le jeudi 24 septembre, c’est parce qu’il a été arrêté lors d’un contrôle de police, au cours duquel, il a eu un échange houleux avec un agent du Commissariat de Wakhinane Nimzath. Une situation qui prend une autre tournure, car Cheikh Niass est placé en garde à vue et déféré au Parquet pour «outrage à agent», avant d’être placé sous mandat de dépôt.
Seulement, son court séjour à la prison du Cap manuel de Dakar le conduira à l'hôpital puis à la morgue. (Voir par ailleurs) A Yeumbeul-Asecna où habite sa famille, c’était le calme plat, hier, vers 23 heures, dans ce quartier situé dans la commune de Yeumbeul-Nord. La plupart des maisons sont fermées en cette nuit enveloppée par une chaleur humide, sauf le domicile de la famille de Cheikh Niass, cet émigré «d'origine modeste qui s'est essayé à tous les métiers, avant de s'envoler pour la France», témoigne-t-on. La maison continue de recevoir la visite des proches venus de tous les coins du pays, à l'annonce de la mort de l'aîné de la maison. A l’intérieur, tous les coins et espaces ont été réaménagés pour permettre aux proches éprouvés par un long voyage de se reposer. Les chambres et le salon ressemblent à un dortoir avec des nattes étalées à même le sol. Malgré l'heure tardive, difficile de trouver le sommeil dans cette maison où le moindre témoignage sur Cheikh Niass est accueilli par des pleurs. Ici, la nuit s’annonce longue. Interminable.

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La naissance en Gambie et le départ des parents lors du putsch raté de Kukoy Samba Sanyang
C'est sous la tente aménagée dans la rue que les témoignages les plus poignants se succèdent, tous accueillis par un concert de pleurs et de lamentations. Pourtant, malgré la douleur qui s'affiche sur son visage, Arame Thiam, la mère du défunt tient à garder sa dignité face à l'épreuve. «Certes, j’ai perdu un fils, un confident, je m'en remets à Allah, mais je réclame la lumière, toute la lumière sur cette affaire», exige-t-elle. Arame Thiam se rappelle encore, il y a trente neuf ans, le jour où il accueillait son premier enfant, baptisé du nom de Cheikh Niass. C'était en Gambie où les deux parents s'étaient établis. Un pays voisin du Sénégal qu'ils vont quitter lors de la tentative de coup d'Etat perpétré en 1983 par Kukoï Samba Sanyang  contre le premier président gambien Daouda Kairaba Diawara. Une grosse panique s'était emparée de la communauté sénégalaise, lorsque le Président Diouf décida de voler au secours de Daouda Diawara. Craignant des représailles, le couple Niass décide alors de quitter la Gambie, accompagné de leur enfant, Cheikh, pour retourner au Sénégal. 
La famille s'établit au village de Nguith Ndiago, non loin de Kaolack, l'oreille toujours tendue vers le pays de Daouda Kaïraba Diawara, espérant une accalmie pour y retourner. Mais, l'attente devenue longue, avec un enfant âgé juste d'un an dans leurs bras (Cheikh est né en 1982) les Niass décident de tourner définitivement le dos à la Gambie et poursuivent leur séjour dans ce village situé non loin de la sortie de Kaolack où Cheikh va passer une partie de son enfance, entre l'école coranique et l'école française. A l'époque, la famille Niass démunie, avait tout misé sur son fils, se privant de tout pour lui payer ses fournitures scolaires et l'encourager dans ses études. 

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L'exode vers la banlieue à Yeumbeul, le naufrage du Joola et la mort du chef de famille
Quelques années plus tard, comme le garçon trustait les premiers rangs dans son école, la famille décide de se rapprocher de Dakar et s'établit à Yeumbeul où Cheikh Niass réussit le concours d’entrée en 6ème et effectue ses premiers pas de collégien au Cem de la commune. Une vie modeste pour cette famille qui se suffit de très peu et vit en location dans une maison non loin du collège. En 2002, une seconde épreuve s'abat sur la famille Niass dont le chef décède trois jours après le naufrage du Joola survenu le 26 septembre 2002. «C'était un jeudi le 28 septembre 2002», se souvient Arame Thiam, la mère de Cheikh qui venait juste de souffler ses vingt bougies. Orphelin de père, le jeune Cheikh Niass, face à sa famille démunie, décide d’abandonner les études pour prendre le relais de son défunt père. Il va alors s'essayer à plusieurs métiers. D'abord la mécanique, ensuite la tapisserie. D’après les témoignages, il quittait l’atelier de tapisserie aux Parcelles Assainies de Dakar pour rentrer à Yeumbeul à pied. Un trajet qu’il mettait à profit pour vendre les oreillers qu'il confectionnait. Le produit de la vente, il le versait à sa mère et reprenait le chemin des Parcelles Assainies à l'aube. 
Dans la rue, le garçon taciturne, refoulait sa colère de voir sa mère et ses sœurs s'entasser dans un local exigu. Il comprend que rien ne lui sera donné et qu'il devra se battre pour assurer le minimum à sa famille. L’on confie que le loyer et la nourriture étaient ses seules préoccupations. Pourtant, il lui arrivait de temps en temps de mettre de l'argent de côté. Prévoyant. Il avait formulé le vœu de payer un toit à sa mère et ses sœurs. Et lorsqu'un jour, la chance frappa à sa porte, le garçon qui avait amassé un peu d'argent décide d'aller chercher fortune en France. Son départ a constitué une séparation douloureuse vécue par sa mère et ses sœurs livrées à elle-même. «Parce que Cheikh avait très bien pris le relais de son père, il était devenu responsable très tôt, nous avons alors beaucoup craint pour la suite, lorsqu'il décida de partir», se rappelle encore sa mère Arame Thiam. C'était il y a une quinzaine d'années. Mais, pour Cheikh c'était la seule issue pour tirer sa famille de la situation difficile. A l'arrivée, il a eu raison. Il a réussi à acheter un terrain sur lequel il a construit une belle maison pour y loger sa mère et ses sœurs. Mais, la mort ne lui a pas laissé le temps de réaliser un de ses plus grands rêves. Il aimait souffler à l'oreille de sa maman : «Si Dieu me prête longue vie, Sokhna Arame (c'est ainsi qu'il appelait sa mère), tu iras à la Mecque pour prier davantage pour le repos de l'âme de mon père.» 


Cheikh Niass sera inhumé aux cimetières de cambérène auprès de son défunt père
En attendant l'arrivée de son épouse qui a quitté la France, hier soir, pour certainement venir se recueillir auprès de la dépouille de son mari, l’on souffle que le défunt sera enterré aux cimetières de cambérène. «C'était son souhait de reposer auprès de son père décédé en 2002 deux jours après le naufrage du bateau le Joola», a confié à L’Observateur, hier jeudi, sa mère Arame Thiam


Un pool d'avocats pour faire la lumière sur la mort de Cheikh Niass
La famille du défunt est prête à tout pour élucider la mort de Cheikh Niass. Malgré la version servie par l’Administration pénitentiaire, des proches du défunt ont confié à L’Observateur qu’un pool d’avocats sera commis pour tirer cette affaire au clair. «Nous le devons à Cheikh», ont soufflé en chœur sa mère et sa sœur cadette Khadija 


A Dakar pour le Magal, comment Cheikh Niass s'est retrouvé en prison
Lundi 23 septembre 2021. Dans l'après-midi, à l'aéroport Blaise Diagne de Diass, le tarmac de l’aéroport ne cesse de subir les assauts des avions, en ce jour de grande affluence, avec ces centaines de voyageurs déversés par les compagnies à l'Aibd. Tous ou la plupart sont établis à l'étranger et viennent célébrer le départ en exil de Serigne Touba. Parmi eux, Cheikh Niass. La démarche lourde, taille légèrement imposante, il semble très pressé de retrouver sa famille. Les formalités vite expédiées, il s'engouffre dans un véhicule en direction de Yeumbeul-Nord, une commune située dans la banlieue où il arrive quelques minutes plus tard. «Il était 18 heures lorsqu'il est entré dans la maison pour se jeter dans mes bras», témoigne sa maman Arame Thiam. Des retrouvailles pour cette dame et son fils qui, depuis le départ de Cheikh pour la France, n'ont pas eu beaucoup d'occasions de vivre pareils moments. 
Pendant la quinzaine d'années qu'il est resté en France où il a obtenu la nationalité, Cheikh ne venait que très rarement, du moins pendant les premiers moments. «Il est resté au moins 8 années là-bas, travaillant comme un forcené pour économiser et construire cette belle villa où il a pu enfin loger sa mère», confie sa sœur cadette, Khadija Niass. Dans la maison, le séjour de Cheikh est toujours une occasion pour faire le point sur la situation de la famille, mais également se retrouver dans le salon autour d'un bon plat et écouter le garçon raconter son séjour en France à sa mère. Ce lundi 23 septembre, de son arrivée à 18 heures jusque tard dans la nuit, toute la famille est restée scotchée aux lèvres de Cheikh qui étale ses projets. Il en sera ainsi pendant les deux jours qui ont suivi son arrivée. Puis le jeudi 23 septembre, il choisit enfin de se consacrer exclusivement aux préparatifs du Magal prévu le dimanche 26 septembre. Au petit matin, accompagné de son fils âgé de 17 ans et d'un de ses proches du nom de Tapha, il s'installe au volant de sa Volvo de couleur noire pour se rendre à la banque. Il voulait retirer de l'argent pour offrir le billet pour Touba à sa famille et à ses amis. «Et même à des anonymes qui ont l'habitude de le solliciter à l'occasion de chaque Magal», témoigne un riverain trouvé hier soir, sous la tente devant la maison mortuaire. Une maison où il ne reviendra plus jamais. Non plus, il ne reverra sa mère et son épouse, Awa Kondé, restée en France pour veiller sur ses enfants.
Après des minutes de route, Cheikh Niass tombe, d’après les témoignages, sur un contrôle de police et constate qu'il a oublié la carte grise de son véhicule. Lorsque l'agent lui réclame ce document, Cheikh, selon les témoignages de son fils, s'excuse et demande à ce dernier (son fils) de descendre du véhicule et de retourner à la maison, à Yeumbeul-Asecna, pour lui amener la carte grise. Mais, c’est après le départ du fils que les choses ont tourné au vinaigre ? Les versions diffèrent. Selon des témoins de la scène, lorsque l'agent de police a décidé d'immobiliser le véhicule au commissariat de Wakhinane-Nimzath, l'émigré se serait emporté, demandant à l'agent de patienter le temps que son fils revienne avec la carte grise. Il y aurait eu un échange de gros mots qui a fait glisser Cheikh Niass vers le terrain de l'outrage à agent. Force devant rester à la loi, il est ainsi placé en garde à vue dès son arrivée au commissariat, accompagné de l'agent. Puis, au terme de sa garde à vue, il est mis dans le véhicule de police, déféré au parquet, avant d'être placé sous mandat de dépôt.


ARAME THIAM, MERE DE CHEIKH NIASS : «On m'a caché l'arrestation de mon fils»


«Je suis tombée des nues quand j'ai appris la mort de mon fils. Même son arrestation on me l'a cachée. Certes je suis d'une santé fragile, mais je regrette que l’on m'ait caché toutes les épreuves qu'ils a subies. Quand le jeudi jusque dans la soirée il n'est pas revenu, j'ai interpellé son fils âgé de 17 ans. Il m'a expliqué que son père a effectué un court voyage de deux jours. Je me suis alors inquiétée. Il était venu pour le Magal, comment pouvait-il alors aller en voyage sans m'avertir. Sans même au Magal.  J'ai su plus tard qu'ils avaient créé cette histoire de voyage pour me cacher son arrestation. Cheikh a ma bénédiction, sa seule volonté c'était de nous sortir de la situation difficile que nous avons vécue. il l'a fait avec courage. A mon tour je lui dois de me battre jusqu'à mon dernier souffle pour que la lumière soit faite sur sa mort . J'en appelle à tous les Sénégalais et surtout à toutes les mères de famille pour me soutenir dans ce combat. Ce n'est pas un désir de vengeance mais perdre mon unique garçon dans ces circonstances aussi troubles n'est pas facile à supporter.»


L'administration pénitentiaire dément et précise
L'administration pénitentiaire est sortie de sa réserve pour "rétablir la vérité des faits" sur les circonstances de la mort de l'émigré sénégalais établi en France, Cheikh Niass  Venu passer quelques jours de vacances au Sénégal et prendre part à la célébration du Magal de Touba, il a fini dans le violon du commissariat de police de Wakhinane Nimzatt, à la suite d'une brouille avec un limier de ce commissariat. 
Arrêté le 23 septembre, placé en garde à vue, il pour outrage à agent, il est déféré le lendemain. au parquet de Pikine. Dans ce temple de Thémis, il sera placé sous mandat de dépôt et acheminé à la prison du Cap Manuel. Dans ce communiqué, l'inspecteur régional de l'administration pénitentiaire de Dakar, Mbaye Sarr, précise que "le détenu Cheikh Niass n'est pas décédé au Cap Manuel, mais aux urgences de l'hôpital Aristide Le Dantec".
Cependant, précise l'inspecteur Sarr, le détenu avait été dans un premier temps, interné au pavillon spécial, après avoir été consulté par le médecin traitant. Sa santé s'étant dégradée, il a été évacué, le 28 septembre, aux urgences de l'hôpital Le Dantec, où il a malheureusement rendu l'âme. Relativement à la non restitution de la dépouille à la famille, l’inspecteur Sarr souligne que toutes les formalités d’usage ont finalisées, mais que l’épouse du défunt qui vit en France a avisé de sa venue les prochaines heures à Dakar. Cela devrait se faire ce vendredi, assure, l’inspecteur régional de l’administration pénitentiaire.  
ALASSANE HANNE

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Publié par

Namory BARRY

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