Un an après la criminalisation du viol : Les acteurs judiciaires dénoncent une loi à problèmes

jeudi 24 décembre 2020 • 758 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

Un an après la criminalisation du viol : Les acteurs judiciaires dénoncent une loi à problèmes

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La Loi 2020-05 du 10 janvier 2020, criminalisant le viol et la pédophilie, pose un imposant point d’interrogation au sein de la Justice. Elle a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 31 décembre 2019, suite aux multiples abus sexuels. Cependant, elle est décriée par des acteurs de la Justice (procureurs, magistrats, avocats et techniciens de Droit). L’Observateur livre les chiffres effarants de viol de tous les tribunaux de grandes instances (Tgi) du Sénégal (hormis Saint-Louis et Fatick). 414 d

Au Sénégal, le viol reste l’une des infractions les plus fréquentes des rôles des tribunaux. Les victimes sont marquées au fer rouge. Brisées à vie ! Face à l’ampleur de cet acte ignoble, les associations des droits des femmes se sont battues pour le faire criminaliser. La victoire de leur combat s’est matérialisée le 31 décembre 2019 à l’Assemblée nationale avec le vote, à l’unanimité, de la Loi 2020-05 du 10 janvier 2020 criminalisant le viol et la pédophilie. Les coupables risquent désormais des peines allant de 10 ans à la réclusion à perpétuité. Sauf qu’avec la promulgation de cette loi, l’espoir de voir le phénomène ralentir s’est mué en désespoir. A 10 jours de l’anniversaire de son adoption, une enquête menée par L’Obs permet de découvrir qu’en voulant régler un problème, d’autres ont jailli. Ce qui fait de cette criminalisation du viol «une loi à problèmes». 414 dossiers ont été dénombrés dans les tribunaux de grande instance du pays (hormis Saint-Louis et Fatick).

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Me Joseph Etienne Ndione : «Les initiateurs de cette réforme ont versé dans la précipitation»

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Le constat pousse certains observateurs à s’interroger sur l’opportunité de cette loi. Déjà, dans un texte d’alerte, Me Joseph Etienne Ndione avait tiré la sonnette d’alarme dès l’adoption de ladite loi. «Les initiateurs de cette réforme et tous ceux et toutes celles qui les ont soutenus, pris par l’émotion et sous la forte pression, ont versé dans la précipitation. D’ailleurs, ils se targuent d’avoir plié la procédure en trois mois.  A-t-on recueilli les avis des sociologues et pédo-psychologues, des experts et spécialistes des droits relatifs aux enfants, aux femmes et personnes vulnérables ? A-t-on saisi et recueilli les observations des acteurs de la Justice et praticiens du Droit ?»  C'est, accuse-t-il, «un dossier qu'il fallait boucler avant la fin de l'année. On a accéléré la cadence pour faire adopter une loi, sans se soucier du sort de tous ceux qui, ‘victimes’, peuvent se retrouver ou se retrouveront hélas, brutalement, sur de simples dénonciations ou affabulations d'un enfant, en prison durant des semaines, des mois, voire plusieurs années, le temps que l'instruction soit clôturée ou que la cause soit vidée». Même son de cloche chez les procureurs. Connus pour leur détermination à poursuivre les mis en cause jusqu’à leurs derniers retranchements, ils sont les premiers à critiquer cette nouvelle loi. «C’est une loi absurde» peste, dès l’entame de la discussion, un procureur de la République en service à l’intérieur du pays. Et «la criminalisation, à l’état actuel, n’a eu aucun effet sur la baisse de la recrudescence du viol». Un autre Procureur appuie et souligne le fait qu’en matière de viol, asseoir la culpabilité a toujours été difficile. Parce que, «le problème le plus fondamental est la difficulté de la production des moyens de preuves. Le viol se fait loin des oreilles et des yeux indiscrets. Alors, apporter la preuve de l’acte a toujours été un problème». Quid du certificat ? «Il atteste seulement de l’existence de rapport sexuel, mais pas du fait que ça soit fait avec ou sans consentement», se désole-t-il.


«La loi engorge les cabinets d’instruction et les prisons»


Ces deux parquetiers, à l’image de tous leurs collègues interrogés (hommes et femmes) sous le couvert de l’anonymat, pensent que l’idéal aurait été de maintenir le viol comme un délit et de corser les peines. Telle est la conviction de Me Alioune Abatalib Guèye qui explique : «L’inconvénient de cette loi est de rendre la procédure  très longue pour un fait de fragrant délit. Au Sénégal, il n’y a pas assez de juges d’instruction et on les encombre davantage de dossiers qui n’ont aucun acte d’informations, car tous les éléments de preuve sont déjà dans le procès-verbal.» Des propos confirmés par un juge d’instruction interrogé. Pour avoir été à la tête de différents cabinets de Dakar et des régions, le magistrat analyse ainsi la situation : «C’est un peu comme la loi sur la criminalisation du trafic de drogue. Ça engorge les cabinets et les prisons. Parfois, la personne fait des aveux circonstanciés et n’a pas besoin d’être emmenée en instruction. Ce sont des dossiers qui se règlent en flagrants délits.» Pour le traitement des dossiers ? «Ça dépend du dossier. Parfois, le juge n’a pas besoin de preuves supplémentaires et se contente du procès-verbal d’enquête. Parfois, il faut des tests Adn, mais les cabinets rechignent à le faire, car l’Etat ne paie pas.»


 


«Vers la disqualification ou le non-lieu de certains dossiers»


Ne pouvant pas, pour le moment, se prononcer sur l’efficacité de la loi parce que presque aucun accusé n’a encore été jugé en Chambre criminelle pour pouvoir dissuader d’éventuels violeurs,      le magistrat instructeur est de ceux qui pensent qu’il fallait «poser des peines fortes en correctionnelle et non criminaliser». Il s’explique : «Dans les dossiers de viol, on ne fait que reprendre les Procès-verbaux (Pv) de police alors que l’instruction, c’est pour retrouver des preuves supplémentaires. Dans beaucoup de dossiers, on va vers la disqualification ou le non-lieu. Il n’y a pas de plus-value avec l’instruction parce que c’est rare que le juge trouve des preuves supplémentaires. Ce n’est pas comme dans les films où on peut faire des tests Adn dans deux ans.» Sa position est appuyée par une Procureure qui souligne ce qu’elle considère comme les fautes de cette loi. Selon elle, dans leur juridiction, si les faits ne sont pas basés sur du solide, ils ne prennent pas le risque d’envoyer le dossier en instruction. «Nous disqualifions les faits et les renvoyons en flagrants délits.» Les Procureurs, qui ont vu plusieurs scénarios de cas de viol, parfois montés de toutes pièces, se veulent prudents. «On a vu, pour des raisons inavouées, une fille qui avait accepté de coucher avec son copain, crier au viol lorsqu’elle a été surprise, au moment de l’acte, par sa mère. C’était à Diourbel. Le Procureur, à l’audience, lui demande si les cris étaient de douleur ou de bonheur, elle dit : ‘’Pour dire vrai, c’étaient des cris de bonheur’’.» Il est aussi difficile, poursuit le maître des poursuites, dans certains cas, de savoir si le refus de la fille était sincère ou dû à l’orgueil. «Une fille, au début, peut s’opposer comme toutes les filles. L’homme, croyant que c’était dû à l’orgueil féminin, insiste et elle finit par céder. Après coup, elle parle de viol en disant avoir refusé dans un premier temps avant de finir par céder. Ce qui pose la question de savoir à quel moment elle n’a pas consenti. On a aussi vu une femme faire du chantage à un homme après avoir couché avec lui. Elle lui demande des sommes, s’il refuse, elle parle de viol.»


 


«Plus la peine encourue est sévère, plus le juge est exigeant en matière de preuves»


L’autre problème repose toujours sur la conservation des preuves mises sous scellés. Il y a un risque de disparition des preuves, souligne le magistrat instructeur interrogé : «Si les faits sont jugés des années après, les éléments de preuves, comme les tâches de sang sur les habits, peuvent, au fil des ans, perdre de leur netteté.» Pis, souligne, Me Aboutalib Guèye : «L’efficacité de la répression, c’est sa célérité. Si on vous prend aujourd’hui et on vous juge dans trois ans, les gens auront tendance à oublier l’objet de la poursuite. Et, plus la personne dure en prison, plus les gens ont pitié d’elle. Mais si on vous arrête tout de suite, on vous condamne à 20 ans, les parents de la victime seront apaisés et ceux qui tenteront de le faire seront dissuadés.» Pour lui : «Il faut refaire une réforme en maintenant les peines  qui sont prévus, mais en enlevant la criminalisation.» Aussi, ajoute un des parquetiers : «Plus la peine encourue est sévère, plus le juge est exigeant en matière de preuves. Il ne va pas se hasarder à appliquer de lourdes peines sur des bases légères.»


T. Marie Louise N. Cissé

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Publié par

Namory BARRY

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