Emploi des jeunes :  Diagnostic d’un échec d’Etat

lundi 23 novembre 2020 • 553 lectures • 1 commentaires

Politique 3 ans Taille

Emploi des jeunes :  Diagnostic d’un échec d’Etat

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Pour régler la problématique de la question de l’emploi des jeunes, plusieurs structures dédiées ont été créées. Des agences qui n’ont jamais pu réussir leur mission. Une inefficacité qui a abouti à la mise en place d’un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej) par le chef de l’Etat.

L’échec est tellement patent que le constat saute à l’œil. La question de l’emploi des jeunes a été de tout temps, un casse-tête - les moins de 20 ans représentent 55% de cette population dont le taux annuel de croissance est de 3,8% - pour les différents régimes qui se sont succédé à la gestion du pays. De Me Abdoulaye Wade à Macky Sall, plusieurs structures ont été dédiées à la promotion de l’emploi des jeunes, mais l’aridité des résultats effraie. Pour renverser la tendance, le chef de l’Etat, Macky Sall a décidé, mercredi dernier, en Conseil des ministres, la mise sur pied d’un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej). «Un organe consultatif stratégique d’impulsion», selon le communiqué sanctionnant la réunion hebdomadaire du gouvernement, qui sera mis en place dans la deuxième quinzaine du décembre 2020. Une nouvelle trouvaille du chef de l’Etat, submergé par l’émigration clandestine et son lot de morts. D’après des sources de L’Observateur, ce nouveau projet est conçu comme une articulation unique des différentes agences qui interviennent dans l’emploi des jeunes. Une tare congénitale ( ?) qui fait dire aux pourfendeurs du régime que le Président Sall a agi dans l’émotion et qu’il souhaite faire «du neuf avec du vieux». Une nouvelle trouvaille qui appelle surtout à un diagnostic de l’inefficacité des structures que sont l’Anej, le Fnpj, l’Anama, l’Ajeb, l’Ofejban et de leurs difficultés à régler cette épineuse question de l’emploi des jeunes.   

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«Renforcement de l’allocation des ressources»

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Ancien directeur général de l’Agence nationale pour l'emploi des jeunes (Anej), structure créée par Me Abdoulaye Wade, Abdou Khafor Touré rappelle que ces agences ont été une innovation de Me Wade et que des choses ont été faites : «On ne peut pas dire que les choses n’opèrent pas, il y a eu des résultats probants. Jusqu’en 2000, il n’y avait pas au niveau institutionnel, la prise en charge de la promotion socio-économique des jeunes. C’est le Président Abdoulaye Wade qui a érigé la politique de jeunesse avec le ministère de la Jeunesse comme entité autonome et en intégrant les politiques publiques de jeunesse qui étaient jusqu’ici consacrées aux activités socio- éducatives en mettant comme priorité du gouvernement et des politiques, la dimension promotion socio-économique de la jeunesse. C’est là où on a mis en place les dispositifs de l’Anej, du Fnpj et des dispositifs d’accompagnement de financement avec l’Anama. C’était une politique nouvelle en Afrique au sud du Sahara. On a évalué à partir de 2006 et il y avait une nécessité de rationalisation du dispositif. Le Président Macky Sall a renforcé la rationalisation du dispositif dès son accession au pouvoir.» En signant l’acte de décès des structures d’emploi dédiées à la jeunesse, comme l’Anej, le Fnpj et l’Ajeb et l’Anam.  L’Anpej, la fusion de toutes ces structures créées sous la présidence d’Abdoulaye Wade et dont l’efficacité était sérieusement contestée, naît en 2013.


Mais il semble y avoir un blocage. Abdou Khafor Touré croit savoir les raisons. «Institutionnellement, la réponse est bonne sur le plan des plans et programmes, mais c’est un problème de renforcement de l’allocation des ressources. Le défi sur la question de l’emploi des jeunes, c’est une question d’allocation des ressources. Nous avons un pays essentiellement composé de jeunes. La moitié de la population sénégalaise a -entre 20 ans, 65% de la population et -35 ans. On parle même de 70%. De 2000, on avait deux milliards F Cfa de budget, en 2012, on était aux alentours de 20 milliards F Cfa, en 2020, on truste les 180 à 200 milliards F Cfa entre les ressources qui sont à la Der, au Prodac, à l’Anpej…Ces structures sont complémentaires. Il faut davantage de synergie dans leur intervention. Il faut qu’elles prennent davantage en compte les populations qui sont dans les zones périphériques parce que les jeunes qui tentent l’immigration clandestine, ce ne sont pas principalement les jeunes qui sont dans les zones périurbaines. Il y a une nécessité de renforcer leur intervention dans ces zones. La réponse n’est pas institutionnelle, il faut renforcer les moyens.» Une analyse que partage Waly Fall. Ancien administrateur du Fonds national de promotion de la jeunesse (Fnpj), première structure créée par Wade, Waly Fall assure qu’une seule structure ne saurait suffire pour prendre en charge tous les aspects liés à la promotion économique et sociale des jeunes, d’où la nécessité de diversifier. «Quand le Président Macky Sall est venu, il a travaillé à les rationaliser. Toutes les structures qui existaient sous les régimes de Wade ont été fédérées, ce qui a abouti à la création de l’Anpej. Laquell, seule, n’était pas suffisante pour atteindre les objectifs fixés et il y a une impérieuse nécessité d’avoir des moyens.»


«Défaut d’harmonisation, de cohérence»


Pour Waly Fall, malgré la création de ces structures, personne ne peut nier qu’il y a des insuffisances. «Le phénomène que nous vivons ces temps-ci avec la reprise de l’émigration clandestine à travers la mer, démontre que même si des efforts sont en train d’être faits, il y a beaucoup à faire. La décision prise par le Président de créer le Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes n’est pas pour se substituer aux agences déjà existantes. C’est une structure d’aide à la décision. Il n’y a jamais eu une harmonisation, une cohérence dans la politique de promotion de l’insertion et de l’emploi des jeunes au Sénégal. Il n’y a pas même pas encore une stratégie nationale pour la politique de l’emploi au Sénégal. Ce qui a poussé à constater des limites objectives par rapport à toutes les structures qui existent et que derrière, le Président a jugé nécessaire d’aller dans le sens d’harmoniser pour avoir une certaine cohérence, de rationaliser les moyens pour avoir un meilleur impact surtout travailler à un consensus national sur la super priorité par rapport à l’emploi des jeunes. Il faut que l’emploi des jeunes soit une priorité nationale. Le problème, ce n’est pas d’avoir une structure avec un bon manuel de procédure. La promotion de l’emploi des jeunes est coûteuse. Il y a une nécessité de faire une dotation importante, spéciale sur un taux, par exemple, prendre 2 ou 3% des richesses nationales et les consacrer à la promotion d’emploi des jeunes. Les moyens restent insuffisants. Il faut multiplier l’effort financier pour que les objectifs puissent être atteints.» Comme pour dire que les charrues ont été mises avant les bœufs. Waly Fall : «Ce Conseil n’est pas une création de plus, c’est une chose qui devait exister depuis très longtemps, cela devrait même précéder les différentes créations de ces agences. Dans une politique efficace, il faut une certaine cohérence, une certaine harmonisation.» Un plan Marshall, selon Abdou Khafor Touré. «C’est un conseil national sur les questions de jeunesse et d’emploi des jeunes, un organe consultatif avec un ancrage institutionnel au niveau de la présidence de la République, autour du Président et qui doit regrouper des acteurs du secteur.» 


«La Covid 19 a bousculé l'ordre économique mondiale»


Ancien directeur général de l’Agence pour l'emploi des jeunes des banlieues (Ajeb), Pape Gorgui Ndong balaie d’un revers de la main la thèse de l’inefficacité des structures dédiées à l’emploi des jeunes. Selon lui, beaucoup de choses ont été faites, mais la Covid-19 est venue bousculer tous les plans. «Toutes ces structures témoignent de la volonté de l'Etat du Sénégal de régler cette problématique liée à l'emploi des Jeunes. Dès son arrivée au Pouvoir, il a supprimé plus de 39 agences, dont plus de quatre dédiées à la Jeunesse : Anej, Fnpj, Anama, Ajeb…, afin de lutter contre cette redondance, ce conflit de compétences. Il a regroupé ces agences autour de l'Anpej afin de répondre efficacement au problème de l'emploi des jeunes. C'est vrai que ce n’est pas suffisant, mais beaucoup d'efforts ont été consentis par le régime de 2012 à nos jours et la preuve, depuis, ce phénomène d'émigration clandestine avait disparu. Mais la Covid-19 a bousculé l'ordre économique mondial et notre pays n'est pas épargné. Il faut reconsidérer cette problématique de la Jeunesse et travailler à ce que la Jeunesse puisse avoir un ministère de souveraineté. La Jeunesse représente plus de la moitié de notre population et c'est elle qui souffre le plus du manque d'emploi, c'est une raison de plus, pour ramener l'emploi et la formation au sein de ce ministère et lui donner tous les moyens d'organiser, de former et d'accompagner la Jeunesse.» De la sauver surtout des projets périlleux comme l’émigration clandestine. 


PROJET D’EMPLOYABILITE DES JEUNES PAR L'APPRENTISSAGE (PEJA) : Où sont passés les près de 2 milliards de FCfa décaissés par la Banque mondiale ?


Alors que l’Etat remet sur la table le problème d’employabilité des jeunes pour résorber la recrudescence de l’émigration, le Sénégal a déjà signe un projet d’employabilité des jeunes avec la Banque mondiale pour un montant de 30 milliards de FCfa, dont 2 milliards ont été déjà décaissés.


Le taux de chômage des jeunes, selon les données de l’agence des statistiques, dépasse les 15%. Ils sont 27% de diplômés (Bac+2) à n’avoir toujours pas décroché une première embauche. Un manque d’emplois qui a vite fait d’être lié à la recrudescence du phénomène de l’émigration par voie maritime. Le Président Sall a, lors du dernier Conseil des ministres, décidé de la création du Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej). «Un organe consultatif stratégique d’impulsion, qui sera mis en place dans la deuxième quinzaine de décembre 2020», dit-il. Un énième organe auquel bon nombre de Sénégalais n’accordent aucun crédit. Ou presque ! Outre les agences pour l’emploi des jeunes qui pullulent dans la charpente étatique et qui n’arrivent toujours pas à trouver une solution pour l’employabilité des jeunes, ce Conseil vise à intensifier, entre autres, une insertion professionnelle des jeunes apprentis. Seulement, le Sénégal dispose déjà d’un plan d’action national de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Il s’agit pour l’essentiel, de programmes de formation destinés à combler les besoins du marché en qualifications professionnelles. Mais, à cause d’un taux d’achèvement relativement bas (environ 50% des primo-apprenants quittent l’école avant d’avoir complété six ans d’instruction), beaucoup de jeunes se retrouvent sans qualifications requises pour être admis dans ces centres et donc pouvoir bénéficier d’une insertion dans le marché du travail. Et c’est là qu’intervient le fameux Projet d’employabilité des jeunes par l’apprentissage non formel (Peja).


Macky Sall sait, au moment d’annoncer la création d’un Conseil pour l’insertion professionnelle des jeunes, que le Sénégal est déjà engagé, outre le Programme d’insertion professionnel, dans un crédit pour l’apprentissage et l’entrepreneuriat dans les métiers de l’artisanat traditionnel. Un projet signé depuis le 21 novembre 2018 avec la Banque mondiale, qui prévoit un financement de 30 milliards de FCfa. Mis en œuvre dès avril 2019, le Peja devait permettre très vite la capacitation des jeunes. Mécanique, coiffure, menuiserie, cordonnerie… au total, 12 corps de métier devait permettre, d’ici la fin du projet en 2024, d’améliorer les chiffres de l’emploi. Seulement, près 2 ans après son lancement, le Peja est au point mort. Aly Sow est le Coordonnateur des organisations professionnelles et artisanales (Copas) qui dit avoir fait partie de ceux qui ont élaboré les tests pour les 7 000 maîtres d’apprentissage, dont 3 000 ont été retenus à l’issue de l’examen. Il sera choisi au moins 3 apprentis par maître d’apprentissage pour un total de 32.000 jeunes formés à l’horizon 2024. Il dit : «On a régulièrement fait partie des réunions avec la Banque mondiale pour ce projet et une de leurs exigences était de s’allier aux organisations professionnelles. Pourtant, on a été écarté lors des sélections. Le projet est à l’arrêt, entre autres, parce que le cabinet d’experts choisi n’a toujours pas recensé les professionnels pour accompagner le Peja.» En décembre 2019, un atelier de cadrage s’est tenu à Louga pour une mise en œuvre effective en février. Puis, le Covid-19 est arrivé avec ses restrictions, donnant un autre coup de frein au projet. Pourtant, alors que ce programme n’a pas effectivement démarré, la Banque mondiale affiche un taux de décaissement de 6,5%. Soit, près de 2 milliards de FCfa, alors qu’aucun maître d’apprentissage n’a pu encore bénéficier de matériels et qu’aucun jeune n’a été instruit. Ce taux de décaissement pourrait s’expliquer par la mise à disposition d’un milliard 850 millions de FCfa pour aider le secteur de l’artisanat à faire face aux conséquences économiques du Coronavirus. Les artisans du fichier devaient recevoir chacun une somme de 150 000 FCfa. Mais là encore, les bénéficiaires n’ont rien reçu, 8 mois après le début de la crise, selon Aly Sow, qui se plaint de ce que le ministère préfère dépenser les financements en séminaires et réunions. Au Sénégal, il y a chaque année, au moins 300 000 actifs sur le marché de l’emploi, 30 000 n’obtiendront pas un contrat de travail. «Ça veut dire qu’il n’y a fondamentalement pas de postes de travail dans ce pays. Comment améliorer l’employabilité des gens qui ne trouveront pas de postes de travail ? Il y a plein de projets comme le Peja et d’autres où l’on va dépenser pour résoudre un problème qui ne se présente pas», dit Tamba Danfakha, Conseil en entrepreneuriat, qui remet en cause la notion même d’employabilité. Au même moment où le Président décide d’en faire son cheval de bataille contre l’émigration des jeunes.


La réaction tardive des autorités


Après quelques coups dans la fourmilière du Peja, il ressort que des instructions ont été données pour qu’enfin les artisans puissent entrer dans leur fonds le plus tôt possible. Peut être dans une semaine, selon des sources de L’Observateur. Chacun des 7000 maîtres d’apprentissage sera invité à se rendre à la chambre des métiers pour remplir et signer un formulaire. Le papier devra ensuite être retourné au ministère de l’Artisanat chargé de valider l’ordre de virement sur une plateforme d’envoi d’argent.


CODOU BADIANE, AICHA FALL

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Publié par

Namory BARRY

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