"Le G5 Sahel a besoin de la force militaire du Sénégal pour assainir le travail de Déby"

mardi 27 avril 2021 • 2388 lectures • 1 commentaires

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Considéré comme la police dans le Sahel contre les forces rebelles et djihadistes, le Président tchadien, Idriss Déby, décédé le 20 avril 2021, va laisser un grand vide et un risque croissant d’insécurité dans la sous-région. Spécialiste des questions internationales et géopolitologue, Aly Fary Ndiaye décrypte l’avenir du G5 sans Déby et le rôle que le Sénégal pourra jouer dans la stabilité du Sahel.

Le Président Macky Sall ne s’est pas rendu aux obsèques de l’ex Président Tchadien, Idriss Déby. Il s’est fait représenter par ses ministres des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall et des Forces armées, Me Sidiki Kaba. Qu’est-ce qui peut expliquer cette absence du Président Macky Sall aux funérailles de Déby ?
L’absence du président de la République, Macky Sall aux obsèques du Président Déby peut être justifiée par une question de calendrier parce que le jeudi, il était en Conseil présidentiel pour l’emploi des jeunes et les funérailles se sont déroulées le vendredi. Matériellement, il était un peu impossible pour lui de faire le déplacement. 
Par contre, les absences qui ont le plus marqué l’opinion publique et les géostratégistes, ce sont celles des chefs d’Etat dont la sécurité a été sous-traitée au Tchad et dont la gestion du territoire a poussé à une forte présence militaire tchadienne : le Nigeria et le Cameroun. L’armée tchadienne est présente dans ces deux pays et dernièrement, le Président Déby avait perdu 92 de ses hommes dans une opération au Nord-Est du Nigeria. Les gens ne peuvent comprendre que ceux qui ont le plus bénéficié du soutien du Tchad dans la lutte contre le terrorisme soient les grands absents. A cela, on peut ajouter l’absence du Président congolais, Denis Sassou-Nguesso. Ce sont ces absences qui étaient plus visibles que celle du Sénégal.

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Contrairement à Macky Sall du Sénégal, le Président Français, Emmanuel Macron, a effectué le déplacement au Tchad pour assister aux obsèques de Déby. Quelle lecture peut-on faire de cette démarche de la France? 
La démarche du Président Macron est purement réaliste et il faut la saluer. Parce que le Tchad, c’est la gestion de la sécurité de six Etats africains. La perception que la France fait en étant aux obsèques et en soutenant le nouveau régime, c’est parce que Macron s’est rendu compte de la position stratégique du Tchad qui parvient, en tant que pays africain, à faire un travail que l’Armée française ne peut même pas faire au motif d’être vue comme un impérialiste. Ce travail est fait par Déby et de manière efficace. Dans ces périodes de crise, si la France avait une autre position avec la question de la rébellion au Nord du Tchad, ça pouvait créer un facteur de démoralisation des forces tchadiennes. C’est donc une approche purement réaliste et stratégique. En temps de guerre, on suspend les questions de démocratie pour se focaliser sur la sécurité. C’est ce qui explique qu’il n’y a pas de condamnation. 

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La question épineuse de l’absence du Sénégal du cadre régional que forme le G5 Sahel revient avec la mort du Président Déby. N’est-il pas temps aujourd’hui que le Sénégal rejoigne le G5 Sahel pour y apporter son expertise militaire ?
Il faut se réjouir du fait que le Président Déby ait invité le Sénégal comme la Guinée pendant le dernier sommet du G5 Sahel qui s’est tenu au Tchad. Aujourd’hui, Déby étant la police qui s’occupait de l’Afrique du centre contre les forces terroristes, sa mort aura des conséquences sur le déploiement des forces tchadiennes un peu partout. Son fils, Mahamat Idriss Déby, sera plus intéressé de régler les questions de sécurité intérieure et de conservation du pouvoir. Cela suppose un redéploiement de ses forces à l’intérieur du territoire surtout au Nord du pays pour faire face aux rebelles. Donc, impérativement aujourd’hui, c’est le G5 qui a intérêt à courir pour que le Sénégal intègre le cadre. Parce que c’est le Tchad qui donnait la puissance militaire et avait dépensé 300 milliards FCfa de son propre budget pour sécuriser les autres pays africains. Le Tchad ne pourra plus le faire maintenant. Aujourd’hui, ils ont donc intérêt à faire entrer le Sénégal pour deux raisons principales. La première, c’est que la dernière fois, le Sénégal avait décidé de donner une subvention d’un milliard FCFA aux forces qui sont dans le G5 Sahel. La deuxième chose c’est qu’ils ont besoin de la force militaire du Sénégal pour assainir ce que les Tchadiens vont laisser. C’est donc eux qui seront en position de demandeur. 


Le Mali et la Mauritanie s’étaient opposés à l’entrée du Sénégal au G5 Sahel. Avec cette nouvelle donne peut-on s’attendre à ce que ces deux pays revoient leur position de départ en acceptant l’intégration du Sénégal?
La situation dans leur pays, notamment au Mali, exige la sollicitude et l’appui des forces sénégalaises, même s’ils pensaient que le Sénégal, étant une puissance diplomatique, va les éclipser en étant vu comme le leader. Aujourd’hui, ils seront obligés de l’accepter face à la situation qui est en train de se passer au Mali. Maintenant, ils peuvent aussi s’entêter. On a constaté de manière regrettable, malgré les efforts que le Sénégal a faits pour aider la junte au Mali à se maintenir au pouvoir et à faire une transition, que jusqu’à présent, ni le Président de la transition au Mali, Bah Ndaw ni son Vice-président ne se sont déplacés pour venir remercier les autorités sénégalaises. Alors qu’ils ont été en Mauritanie, en Guinée et un peu partout. Il y a encore des grincements. Ce sont des problèmes d’ego et d’image, mais à la fin, les questions sécuritaires dépassent tout cela. La sécurité est la question sans laquelle leur survie à eux est inexistante. Si les terroristes font tomber Bamako, ce qui est sûr, c’est qu’ils seront aux portes du Sénégal. 


Quel est l’avenir du G5 sans Idriss Déby ?
L’avenir du G5 Sahel sans Déby, ce sera le doute, moins de forces militaires et moins d’actions d’envergure. Parce que Déby était le seul capable de contenir les rebelles. Déby était un véritable chef de guerre. Aujourd’hui, les cinq Etats actuels du G5 (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, et Burkina Faso) sont incapables, sans Idriss Déby, de réussir une opération d’envergure. Et je ne vois pas la France continuer à envoyer des troupes en compensation des éléments tchadiens. Il faut qu’ils pensent à l’intégration des pays comme le Sénégal pour pouvoir compenser le vide que va laisser le départ de Idriss Déby. Mais ça suppose qu’ils acceptent le leadership du Président Macky Sall et les petites perceptions qu’ils ont du Sénégal puissent disparaître.


Quels rôles diplomatique et militaire Dakar pourrait jouer aujourd’hui pour aider Ndjaména à se relever  de cette crise actuelle ?
Je ne pense pas que le Sénégal peut jouer un rôle diplomatique et militaire important pour aider le Tchad à se relever. Par contre, le Sénégal doit voir quel rôle diplomatique et militaire il peut jouer pour aider ses voisins immédiats, notamment le Mali, à combattre le terrorisme afin de bloquer le problème à métaphase, à savoir mener une action préventive. Mais, je pense que le Tchad va continuer à être un pays de guerre, un pays militaire qui va continuer à utiliser ses ressources pétrolières pour financer son armée. Le Tchad va continuer à être un pays militaire avec une opposition civile plus ou moins importante. Les défis majeurs du Tchad, ça sera essentiellement arrêter le terrorisme. On se rend compte aujourd’hui des conséquences de l’éclatement de la Libye. Nicolas Sarkozy, en faisant tuer Mouammar Kadhafi, a créé un précédent grave. Il a fait disparaître l’Etat du Mali et est en train d’affaiblir le Tchad. Donc, il va falloir que les gens réfléchissent sur la véritable formule qui consiste à sécuriser la Libye et à aider le Tchad à avoir des plages de convergence au niveau interne, avec une transition où beaucoup d’acteurs de la société civile vont intervenir afin que ce pays puisse retrouver la stabilité. Cela doit être le défi de l’actuel nouvel homme fort du Tchad, Général  Mahamat Idriss Déby Itno, fils du défunt maréchal Idriss Déby.


Comment appréciez-vous la position de certains opposants tchadiens qui soutiennent que le Conseil militaire de transition au Tchad est anticonstitutionnel ?
Les gens qui appellent à une manifestation ne verront personne. Aujourd’hui, à N’Djaména, c’est la psychose totale. Les populations ont peur d’une instabilité, d’une insurrection au point qu’elles ne comptent que sur quelqu’un qui leur offre la sécurité que la liberté. En fait, la liberté sera en standby. Elle sera reléguée au second plan. Aujourd’hui, c’est l’enjeu sécuritaire, la stratégie du Tchad. C’est quand le Tchad aura réglé la question de la transition qu’on pourra penser à une ouverture démocratique où les questions de liberté et de démocratie seront respectées. Mais, le fait que Idriss Déby ait eu plus de 79% des voix à la dernière Présidentielle du 11 avril 2021 et qu’on ait choisi son ancien Premier ministre, Albert Pahimi Padacké, devenu son opposant pour diriger le gouvernement de transition, cela prouve que les plages de convergence et d’ouverture sont en train de se faire avec l’opposition représentative. Certainement, on va avoir un syndrome similaire à celui du Mali. Mais, ce sont les militaires qui vont décider de tous les acteurs qui représenteront les institutions de transition. Ils ont déjà le soutien de la France et ils auront tout le soutien des pays africains. La preuve, l’Union africaine (Ua) qui était prompte à condamner les coups d’Etat ne l’a pas fait, parce qu’elle sait que les défis sécuritaires du Tchad sont plus importants que les questions de démocratie à l’heure actuelle. 


Pourquoi l’Union africaine hésite-t-elle ainsi à condamner ce coup de force au Tchad ? Pourquoi reste-t-elle timide face à ce qui se passe au Tchad ?
C’est parce qu’aujourd’hui, les pays de l’Union africaine (Ua) qui devaient sanctionner ce qui se passe au Tchad, ce sont ces pays-là que le Tchad est en train de sauver. Aujourd’hui, si vous allez à l’Ua pour exiger la sanction contre le Tchad, les gens vont se révolter contre vous. Aujourd’hui, les défis sécuritaires en Afrique du Centre et en Afrique de l’Ouest et même en Afrique de l’Est font que la puissance tchadienne, sa position stratégique et sa capacité militaire ont influé sur la position de l’Ua. L’Ua sait que la réalité aujourd’hui est d’aller dans le sens de maintenir l’ordre et la stabilité au Tchad. La position et la force du Tchad font que tout le monde cherche d’abord la stabilité de ce pays. Cela, parce que déstabiliser le Tchad, c’est déstabiliser l’Afrique de l’Est et les deux Soudan, l’Afrique du nord avec la Libye, l’Afrique du centre avec la République centrafricaine et les deux Congo et l’Afrique de l’ouest. Le Tchad est au cœur du dispositif. Aujourd’hui, qui tient le Tchad tient l’Afrique. 


Donc, il n’y a aucune crainte que le Tchad soit suspendu de l’Ua ?
Il ne le sera pas. On a vu dernièrement le Président de transition du Mali, Bah Ndaw remercier ouvertement Idriss Déby, pour avoir sauvé le Mali des mains des djihadistes. D’autres pays l’ont fait. N’oubliez pas que le Tchad lie une grande amitié avec les deux Congo, avec la Guinée Equatoriale…Idriss Déby, c’était les quatre axes en diplomatie. Tous ces pays ont intérêt que le Tchad retrouve la stabilité. Quand la démocratie est menacée par des forces fondamentalistes, des djihadistes qui sont en train d’être plus forts que les Etats, les gens sont obligés de se recroqueviller sur des questions de sécurité d’abord. La force militaire du Tchad fait qu’on est obligé de s’allier avec lui pour qu’il y ait la stabilité. Cela, parce que la conséquence d’une instabilité sera plus grande dans tous les pays où il y a des forces militaires tchadiennes qui peuvent être accaparés par des rebellions ou djihadistes qui vont en profiter pour y créer des guerres civiles.
FALLOU FAYE

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Publié par

Namory BARRY

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