Stratégie politique : Sonko, le nouveau plan de guerre contre Macky Sall

L’offensive est placée sous le sceau du secret, gravée en creux des signes de la nouvelle méthode politique de Ousmane Sonko, l’«anti-système» métamorphosé en sergent recruteur des dissidents du «Macky». Cible privilégiée du régime du Président Sall, le chef de file des «Patriotes» est devenu aujourd’hui le siège de nombreuses interactions. D’abord avec la société civile qui lui a toujours reconnu des valeurs républicaines. Puis avec les ultra-radicaux de l’opposition - Mamadou Lamine Diallo, Thierno Alassane Sall, Abdoul Mbaye, etc.- qui ont foi en sa démarche et croient en sa loyauté aux principes qui animent et gouvernent leur combat contre le régime en place. Une double reconnaissance qui confère à l’ancien inspecteur des Impôts et Domaines un statut d’officier de guerre politique, chargé d'organiser et de coordonner l'action des forces insoumises pour contrecarrer les plans «Mackyavéliques» du chef de la majorité présidentielle, accusé de vouloir réduire l’opposition sénégalaise à sa plus simple expression. Une nouvelle stratégie de combat à la fois interne au Pastef et ouverte à l’opposition radicale, qui fait se poser la question : Que mijote réellement Ousmane Sonko ?

«On est en train de nous préparer»

Du côté des Patriotes, le temps est à la méfiance. On évite de rentrer dans les détails du nouveau projet politique de Ousmane Sonko. On s’astreint à ne pas vendre les ingrédients de la recette politique du leader de Pastef qui, à terme, pourrait avoir un goût de cocktail Molotov dans la «gueule» du régime. On admet juste, en formules circonspectes, que «le parti suit toujours son agenda et continue sur la voie de la massification». El Hadji Malick Ndiaye est le secrétaire national à la communication de Pastef. Il ne déroge pas à la règle qui est de rigueur chez les Patriotes. «Je ne saurai vous dire ce qu’on prépare, mais ce qui est constant, c’est qu’on reste dans l’opposition à côté du peuple sénégalais et on l’assume. On est en train de nous préparer à toutes les éventualités. On continue le travail de massification et de restructuration pour bâtir notre grand parti», confie-t-il.

Dans ce chantier de massification du parti, Pastef semble abandonner quelques principes fondateurs pour en adopter d’autres plus massificateurs. Le parti, qui prône l’anti-système, resterait aujourd’hui ouvert à toute personne qui partage ses valeurs de patriotisme. Quelle que soit sa provenance et son passé politique ? «On reste ouverts et attentifs à ce qui se passe autour de nous. On partage le patriotisme avec d’autres Sénégalais qui sont dans d’autres camps politiques et on n’exclut pas demain, de travailler et s’allier avec eux pour obtenir des victoires politiques. Donc on est ouverts à tout Sénégalais qui partage avec nous les perspectives de changement systémique de la gouvernance publique, mais on ne transigera pas sur nos principes et valeurs qui, à ce jour, constituent les éléments qui nous distinguent des autres forces sociales», précise Aldiouma Sow, le chargé des élections de Pastef/les Patriotes. Il poursuit : «On ne compte pas sur une reconfiguration du champ politique pour espérer en retour un certain gain politique. On continue à croire et à travailler sur la construction d’un appareil politique fort et effectif, l’adoption d’un programme qui répond aux problèmes des Sénégalais et trouver des alliés avec qui on partage la perspective sociale et politique de la gouvernance publique.»

Pour le Dr Moussa Diaw, Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. «Sonko mijote quelque chose contre le pouvoir», confirme-t-il. Et, au delà, c’est toute l’opposition qui est en train de se concerter pour mettre en place une grande alliance anti-Macky.» Il ajoute : «Le départ d’Idrissa Seck a déstabilisé l’opposition. Idy était au courant de tout ce que l’opposition préparait. Mais, il jouait un double jeu. Il négociait avec le pouvoir, et en même temps, jouait le jeu avec l’opposition. Compte tenu de ce départ, il y a forcément une recomposition, les leaders de l’opposition sont en train de travailler pour recomposer leur groupe et former éventuellement une grande alliance pour mener le combat pour les prochaines échéances électorales.» Un nouveau front dont la tête de gondole ne serait autre que le leader de Pastef, Ousmane Sonko qui multiplie les contacts et les rencontres souterraines avec certains leaders de l’opposition. 

«L’essentiel pour l’opposition…»

En débauchant le leader du Rewmi, Idrissa Seck et l’ex-Secrétaire général adjoint du Pds, Oumar Sarr – en attendant les arrivées d’autres leaders comme Malick Gakou du Grand Parti - le Président Macky Sall aurait ouvert, selon des politologues, un boulevard à Ousmane Sonko. Une aubaine politique que le leader de Pastef voudrait exploiter à sa guise, mais en association avec les autres leaders radicaux de l’opposition. D’où sa rencontre révélée par la presse, avec le leader de Guëm sa Bopp, Bougane Guèye Dani. Contacté par L’Observateur, le patron du groupe D-médias fait une analyse froide de la situation. «Il faut positiver cette stratégie de déconstruction entreprise par Macky Sall, qui est dans son rôle. Cela permet de comprendre qu’il y a aujourd’hui, deux blocs. D’un côté, une génération qui a envie que les choses changent. De l’autre, l’association des politiciens professionnels qui est là depuis Senghor. Maintenant, il revient aux Sénégalais de faire un choix et de se départir de cette classe politique qui, au lieu de servir, est en train de se servir», tance Bougane Guèye Dani. Mais, prévient le patron du mouvement «Guëm Sa Bopp», l’opposition a aujourd’hui intérêt à travailler autour d’un bloc très solide et fiable. Autour de Sonko ? Pour Bougane Guèye Dani, le choix de la personnalité ne doit pas poser de problème. «Puisque, explique-t-il, l’essentiel pour l’opposition sénégalaise, c’est de s’unir. Une opposition n’a pas besoin d’un chef, mais d’un leadership. Lequel peut être incarné par tous les leaders, dont Ousmane Sonko. Je conseille aux partis et personnalités de l’opposition de travailler autour d’un seul bloc pour faire face à cette stratégie de déconstruction déclenchée par le chef de file de Benno Bokk Yakaar. J’espère que quelqu’un dans l’opposition travaillera sur ce projet. Les gens doivent s’unir. C’est s’unir ou périr.»

Mais le projet de Ousmane Sonko d’unir l’opposition autour de son parti et des idéaux qu’il incarne pourrait ne pas connaître une nette réussite à cause d’un paramètre non négligeable. Une donne qui a raison de l’unité de l’opposition par le passé. Momar Diongue, journaliste-analyste politique : «La force montante et celui qui fait figure de chef de l’opposition, c’est Ousmane Sonko. Mais le Président Macky Sall risque de ne pas avoir une opposition très soudée autour de Sonko parce que tout simplement, il y aura la guerre des ego. La performance réussie par Sonko qui a créé son parti il y a juste 7 ans et est arrivé troisième à la dernière présidentielle, n’est pas du goût de beaucoup de ténors de l’opposition qui étaient là avant lui, et qui ont occupé pour certains, de très hautes fonctions. Certains trouvent qu’il est arrivé tardivement à la politique et il est hors de question qu’il soit la locomotive de l’opposition. Finalement, l’opposition risque de ne pas être aussi forte face au camp de la majorité que le Président Macky Sall est en train d’élargir». Ce qui est sûr, explique le Dr Diaw, «c’est qu’une alliance des différents partis de l’opposition peut troubler le sommeil de la majorité». Qu’elle soit dirigée par Ousmane Sonko ou pas. 

IBRAHIMA KANDE